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fac-simile d’une page du journal de piffoel 12 Ce soir-là pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse ; elle était vêtue d’une robe pâle un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur les longues herbes au premiers accords de l’instrument sublime. Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent musicien qu’il est dans le ton et dans la mesure. Nous étions tous assis sur le perron, l’oreille attentive aux phrases tantôt charmantes, tantôt lugubres d’Erlkönig. Engourdis comme toute la nature dans une morne béatitude, nous ne pouvions détourner nos regards du cercle magnétique tracé devant nous par la muette sybille au voile blanc. Elle se ralentit peu à peu, lorsque l’artiste passa »
fac-simile d’une page du journal de piffoel
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Ce soir-là pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse ; elle était vêtue d’une robe pâle un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur les longues herbes au premiers accords de l’instrument sublime. Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent musicien qu’il est dans le ton et dans la mesure. Nous étions tous assis sur le perron, l’oreille attentive aux phrases tantôt charmantes, tantôt lugubres d’Erlkönig. Engourdis comme toute la nature dans une morne béatitude, nous ne pouvions détourner nos regards du cercle magnétique tracé devant nous par la muette sybille au voile blanc. Elle se ralentit peu à peu, lorsque l’artiste passa »