Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/228

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thode où il traitera non seulement du métier, mais de la doctrine. Tiendra-t-il parole ?

Delacroix promet aussi dans ses moments d’expansion d’écrire un traité de dessin et de la couleur. Mais il ne le fera pas, quoiqu’il sache magnifiquement écrire. Ces artistes inspirés sont condamnés à chercher toujours en avant et à ne pas s’arrêter un jour pour regarder en arrière.

On sonne. Chopin tressaille et s’interrompt. Je crie au domestique ! que je n’y suis pour personne. « Si fait, dit Chopin, vous y êtes pour lui. — Qui donc est-ce ? — Mickiewicz. — Oh ! oui, par exemple ! Mais comment savez-vous que c’est lui ? — Je ne le sais pas, mais j’en suis sûr, je pensais à lui. »

C’est lui, en effet. Il serre affectueusement les mains et s’assied vite dans un coin, priant de continuer. Chopin continue ; il est sublime. Mais le petit domestique accourt tout effaré ; la maison brûle ! Nous allons voir. Le feu a pris, en effet, dans ma chambre à coucher ; mais ? il est temps encore. Nous l’éteignons lestement. Pourtant cela nous tient occupés une grande heure, après quoi nous disons : « Et Miekiewiez, où peut-il être ? » On l’appelle, il ne répond pas ; on rentre au salon, il n’y est pas. Ah ! si fait, le voilà, dans le petit coin où nous l’avons laissé. La lampe s’est éteinte, il ne s’en est pas aperçu ; nous avons fait beaucoup de bruit et de mouvement à deux pas de lui, il n’a rien entendu, il ne s’est pas demandé pourquoi nous le laissions seul ; il n’a pas su qu’il était seul. Il écoutait Chopin ; il a continué de l’entendre.

De la part d’un autre, cela ressemblerait à de l’affectation, mais le doux et humble grand poète est naïf comme un enfant et, me voyant rire, il me demande ce que j’ai. « Je n’ai rien, mais la première fois que le feu prendra dans une maison où je serai avec vous, je commencerai par vous mettre en sûreté, car vous brûleriez sans vous en douter, comme un simple copeau. — Vraiment ? dit-il, je ne savais pas. » Et il s’en va sans avoir dit un mot. Chopin reconduit Delacroix qui, retombant dans le monde réel, lui parle de son tailleur anglais et ne semble plus connaître d’autre préoccupation dans l’univers que celle d’avoir des habits très chauds qui ne soient pas lourds.

Le petit incendie, cité dans le morceau qui précède, servit à Louis de Loménie de raison plausible ou de prétexte tout expressément envoyé par le sort, pour pénétrer chez la grande romancière. Du moins voici ce qu’il raconte dans son article « George Sand » daté justement de 1841 et paru dans ses Contemporain illustres par un homme de rien. Il ne sait pas trop com-