Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/227

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Un chant sublime s’élève !

Le maître sait bien ce qu’il fait. Il rit de ceux qui ont la prétention de faire parler les êtres et les choses au moyen de l’harmonie imitative. Il ne connaît pas cette puérilité. Il sait que la musique est une impression humaine et une manifestation humaine. C’est une âme humaine, qui pense, c’est une voix humaine qui s’exprime. C’est l’homme en présence des émotions qu’il éprouve, les traduisant par le sentiment qu’il en a sans chercher à en produire les causes par la sonorité. Ces causes, la musique ne saurait les préciser ; elle ne doit pas y prétendre. Là est sa grandeur, elle ne saurait parler en prose.

Quand le rossignol chante à la nuit étoilée, le maître ne vous fera deviner ni pressentir par une ridicule notation le ramage de l’oiseau. Il fera chanter la voix humaine dans son sentiment particulier, qui sera celui qu’on éprouve en écoutant le rossignol, et si vous ne songez pas au rossignol, vous n’en aurez pas moins une impression de ravissement qui mettra votre âme dans la disposition où elle serait, si vous tombiez dans une douce extase par une belle nuit d’été, bercé par toutes les harmonies de la nature heureuse et recueillie.

Il en sera ainsi de toutes les pensées musicales dont le dessin se détache sur les effets d’harmonie. Il faut la parole chantée pour en préciser l’intention. Là où les instruments seuls se chargent de la traduire, le drame musical vole de ses propres ailes et ne prétend pas être traduit par l’auditeur. Il s’exprime par un état de l’âme où il vous amène par la force ou la douceur. Quand Beethoven déchaîne la tempête, il ne tend pas à peindre la lueur livide de l’éclair et à faire entendre le fracas de la foudre. Il rend le frisson, l’éblouissement, l’épouvante de la nature dont l’homme a conscience et que l’homme fait partager en l’éprouvant. Les symphonies de Mozart sont des chefs-d’œuvre de sentiment que toute âme émue interprète à sa guise sans risquer de s’égarer dans une opposition formelle avec la nature du sujet. La beauté du langage musical consiste à s’emparer du cœur ou de l’imagination sans être condamné au terre à terre du raisonnement. Il se tient dans une sphère idéale où l’auditeur illettré en musique se complaît encore dans le vague, tandis que le musicien savoure cette grande logique qui préside chez les maîtres à l’émission magnifique de la pensée.

Chopin parle peu et rarement de son art ; mais quand il en parle, c’est avec une netteté admirable et une sûreté de jugement et d’intention qui réduiraient à néant bien des hérésies s’il voulait professer à cœur ouvert.

Mais jusque dans l’intimité il se réserve et n’a de véritable épanchement qu’avec son piano. Il nous promet pourtant d’écrire une mé-