poser ou rêver. Mais il aimait le monde et ne profitait guère de son sanctuaire que pour y donner des leçons. Ce n’est qu’à Nohant qu’il créait et écrivait[1]. Maurice avait son appartement et son atelier au-dessus de moi. Solange avait près de moi une jolie chambrette où elle aimait à faire la dame vis-à-vis d’Augustine les jours de sortie et d’où elle chassait son frère et Oscar impérieusement, prétendant que les gamins avaient mauvais ton et sentaient le cigare ; ce qui ne l’empêchait pas de grimper à l’atelier un moment après pour les faire enrager, si bien qu’ils passaient leur temps à se renvoyer outrageusement de leurs domiciles respectifs et à revenir frapper à la porte pour recommencer. Un autre enfant, d’abord timide et raillé, bientôt taquin et railleur, venait ajouter aux allées et venues, aux algarades et aux éclats de rire qui désespéraient le voisinage. C’était Eugène Lambert, camarade de Maurice à l’atelier de peinture de Delacroix, un garçon plein d’esprit, de cœur et de dispositions, qui devint mon enfant presque autant que les miens propres, et qui, appelé à Nohant pour un mois, y a passé jusqu’à présent une douzaine d’étés, sans compter plusieurs hivers[2]. Plus tard, je pris Augustine tout à fait avec nous, la vie de famille et d’intérieur me devenant chaque jour plus chère et plus nécessaire.
On trouve encore des détails sur l’existence de cette nombreuse et amicale « communauté » de la cour d’Orléans, dans la lettre de Mme Sand à Charles Duvernet, du 12 novembre 1842. … Je te dirai que nous sommes occupés de cette grande et bonne Pauline avec redoublement, depuis son redébut aux Italiens… son succès… a été dans la Cenerentola aussi brillant et aussi complet que possible… On remonte maintenant le Tancrède pour elle, et, les jours où elle ne chante pas, nous montons à cheval ensemble.
Nous cultivons aussi le billard ; j’en ai un joli petit, que je loue vingt francs par mois, dans mon salon, et, grâce à la bonne amitié, nous nous rapprochons, autant que faire se peut, dans ce triste Paris, de la vie de Nohant. Ce qui nous donne un air campagne, aussi, c’est que je demeure dans le même square que la famille Marliani, Chopin dans le pavillon suivant, de sorte que sans sortir de cette grande cour d’Orléans, bien éclairée et bien sablée, nous courons le soir les uns