Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/668

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rencontre dans les romans de George Sand, l’aime en secret et demande ouvertement sa main, pour la soustraire à Marsillat. Guillaume revient à la raison, d’autant plus que Mme de Charmois, la sous-préfète, qui lui destine sa propre fille, lui dit que Jeanne est la fille de son père, et partant sa sœur (ce qui est un mensonge). Mais Marsillat, lui, ne baisse pas pavillon, malgré toutes les protestations de Jeanne ; il tente de s’emparer d’elle par ruse. Jeanne saute par la fenêtre, et meurt des suites de sa chute, en bénissant l’union de sa « chère demoiselle » avec sir Harley. Comme la Jeanne d’Arc de Schiller, elle meurt au moment où son cœur pur est ému de tendresse pour l’ennemi de sa patrie, l’Anglais !

Ce n’est pas l’intrigue de ce roman qui en fait le charme, mais son caractère berrichon, campagnard. Bien qu’il n’apparaisse pas pour la première fois dans les romans de George Sand, il y est rendu avec plus d’éclat que jamais, n’y formant plus le fond du tableau, l’accessoire, mais étant le but même de l’auteur. La scène se passe dans une petite bourgade, Toull-Sainte-Croix, située dans un pays sauvage, plein de souvenirs druidiques et romains et de réminiscences des batailles avec les Anglais. Tout y est rempli de croyances, de légendes, empreint d’un coloris mystérieux et particulier. Et tous les personnages, sans parler de l’héroïne, sont empreints de cette même couleur locale, surtout les personnages secondaires, presque toujours les mieux réussis chez George Sand[1].

Jeanne, poétique tout instinctivement, sauvage et candide, ne sachant ni débrouiller ses croyances, ni formuler ses rêveries ; sa mère, la mystérieuse Tula ; sa tante, la Grand’Gothe, une mégère criarde, bavarde et rapace ; le sacristain, — voire le fossoyeur, — le père Léonard, qui par, sa profession même est un almanach vivant de toutes les superstitions locales, et en même temps le plus parfait sceptique ; son petit aide, Jeannie, plongé dans une sorte de frayeur chronique à force d’écouter les récits de son patron ; le curé de campagne, archéologue et

  1. Cf. ce qui était dit à ce sujet dans notre tome Ier, p. 373-374.