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Jeanne paraîtra « demain ». Et effectivement, les lecteurs du Constitutionnel purent lire le lendemain les adorables pages de cette introduction, où il est narré comment trois allègres voyageurs : le jeune gentillâtre Guillaume de Boussac, le futur « robin » Léon Marsillat, et un riche Anglais, sir Harley, découvrent par hasard au milieu de sauvages et mornes dolmens, aux environs de Tulle, une jeune bergère dormant du sommeil des innocents ; ils lui prédisent en badinant la bonne aventure et se trouvent être des prophètes inconscients, car toutes leurs plaisantes prédictions s’accomplissent plus tard, non pour le bonheur de la pauvre Jeanne !

Guillaume, frère de lait de Jeanne, la rencontre quatre ans après, c’est ainsi que commence le roman, au moment où meurt la mère de Jeanne, une espèce de vieille voyante campagnarde que tous les paysans prenaient pour une sorcière. Gardienne de vagues traditions de l’antique Gaule, elle les transmet à sa fille, ainsi que la connaissance des herbes, des formules mystérieuses pour guérir le bétail malade et quelques dogmes socialistes innés, tels que la négation du droit de propriété des hommes sur la terre (qui est au bon Dieu), de toute propriété en général, et la vénération pour l’antique communauté. (George Sand parla dans ce roman pour la première fois avec une sympathie non déguisée de ces communaux et pâturaux, auxquels elle revint avec enthousiasme plus tard, dans les Lettres d’un paysan de la Vallée Noire et dans l’Histoire de ma vie, et qui existaient dans le Berry depuis une antiquité immémoriale. Ceci n’échappa point à l’attention de nos slavophiles et fut acclamé par eux comme un argument très important en faveur de la communauté russe qu’ils défendaient)[1].

La mère et la sœur de Guillaume prennent Jeanne dans la maison comme laitière ou lingère. Là elle est exposée aux poursuites amoureuses de Guillaume, romanesquement épris d’elle, et de Marsillat brutalement sensuel, tandis que sir Harley, l’un des innombrables Anglais noblement comiques qu’on

  1. V. Annenkow et ses amis, p. 612. (Saint-Pétersbourg. Souvorine, 1892.)