Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/683

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nions, mais misérable et s’éteignant tout doucement en chopinant chaque soir en compagnie de quelque ami campagnard ou de quelque clerc de passage ; sa femme, douce, molle, tremblante devant son mari, entourée d’aisance, mais ne se permettant pas le luxe d’avoir une opinion à elle, tous deux vivant à Montgivray et que le lecteur reconnaît à l’instant (dans le roman, cette dame n’est pourtant point la femme du gentilhomme, M. Antoine de Châteaubrun, mais bien celle du bourgeois, M. Victor Cardonnet), et enfin le petit jockey rustique Sylvain Charasson qui fut plus tard le cocher de Mme Sand jusqu’à sa mort[1] — voilà les éléments fraîchement notés sur nature en l’été de 1845, qui formèrent le fond, la mise en scène et les personnages secondaires du Péché de M. Antoine, roman paru en l’automne de cette année dans l’Époque.

Et comme cela arrive presque toujours, tous ces détails locaux, empruntés à la réalité, et ces personnages bien vivants sont ce qu’il y a de plus intéressant pour nous. Quant aux personnages principaux, ils sont assez pâles ; ce sont : le jeune rêveur « sur des thèmes socialistes », Emile Cardonnet ; la fille de M. Antoine de Châteaubrun, Gilberte aux cheveux d’or, et le grand seigneur communiste, le marquis de Boisguibault. Celui-ci joue dans ce roman le rôle de Providence bienfaisante, parce qu’en léguant ses quatre millions et demi à Émile et à Gilberte (qui se trouve être le « péché » de M. Antoine et de la marquise de Boisguibault) il donne la pâture aux loups et sauve les brebis. C’est-à-dire qu’Émile peut épouser Gilberte sans devenir infidèle à ses rêves socialistes. Il fondera avec l’argent du marquis une grandiose commune rurale, où il n’y aura ni misère ni ignorance, « où ce travail forcé à perpétuité qu’est le labeur de l’agriculteur isolé » n’existera plus, au contraire l’agriculture y fleurira, parce que « les instruments du travail seront à tous » et « le capital ne sera plus l’oppresseur du travail, mais son aide », où, enfin, après les travaux fatigants, chaque membre

  1. Nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de ce personnage — presque un nonagénaire — lors des fêtes du centenaire de George Sand à Nohant, en 1904. Il est mort en 1907.