qui s’est passé est diversement interprété. Je vais tâcher de le consigner ici aussi exactement que possible et en toute sincérité.
Voici quelle était la situation de la France avant le 17 avril :
Dès le lendemain de la révolution de février tout le monde se disait républicain ; cependant il était facile de voir qu’au premier jour un dissentiment profond séparait en deux partis nettement tranchés les républicains de la veille et ceux du lendemain. En effet, le gouvernement, la presse, la France entière fut bientôt divisée en républicains purement politiques, auxquels se rallièrent aussitôt les hommes de la monarchie déchue, et en républicains socialistes, qui comprenaient dans leur sein la majeure partie des ouvriers de Paris.
Avant-hier, ils pouvaient encore être confondus ; aujourd’hui un abime les divise. Demain peut-être le sort des armes décidera entre eux.
Depuis plusieurs jours, la réaction contre l’esprit démocratique d’une portion du gouvernement provisoire était devenue ostensible. Les commissaires du ministre de l’Intérieur étaient repoussés dans plusieurs départements, particulièrement à Bordeaux, où le fédéralisme s’avouait hautement Les élections paraissaient devoir se faire sous l’influence d’une réaction aveugle contre les républicains socialistes, que l’on cherchait à flétrir par l’appellation de communistes (la bourgeoisie appelle communistes des sectes purement chimériques qui voudraient la loi agraire, la destruction de la famille, le pillage, le vol, etc.). Il était évident pour tous que, sous prétexte de communisme, on écarterait violemment de la représentation tous les républicains sincères, ceux qui avaient combattu et souffert, depuis huit ans, pour la cause de la démocratie, de là l’irritation contre la bourgeoisie et contre la fraction du gouvernement provisoire qui paraît faire cause commune avec elle ; des projets de fructidorisation existaient, mais à l’état de tendance seulement[1].
Les élections approchaient cependant, les manœuvres et la confiance des réactionnaires augmentaient Les vices de la loi d’élection, faite par M. de Cormenin, et qui rétablit, en fractionnant le vote par département, les fâcheuses influences de clocher, étaient hautement signalés. Jeudi[2], vers minuit, en sortant du club de la Révolution, Leroux et Barbes se rendent chez moi sans aucune arrière-pensée. La question est cependant soulevée et après un entretien de trois heures, il est décidé qu’on tentera d’en finir avec la situation et que l’on essayera d’obliger la majorité du gouvernement à donner sa démission.
Vendredi, un projet de loi sur les finances est soumis à Ledru-Rollin