Aller au contenu

Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

teste les femmes qui écrivent, surtout celles qui déguisent les faiblesses de leur sexe en système, au lieu de nous intéresser en nous les faisant voir sous leurs véritables traits ; malgré cela, elle me plut. Je lui trouvai des traits assez massifs, mais un regard admirable ; tout l’esprit semblait s’être retiré dans ses yeux, abandonnant le reste du visage à la matière. Ce qui me frappa surtout fut de rencontrer en elle quelque chose de l’allure naturelle des grands esprits ; elle avait, en effet, une véritable simplicité de manières et de langage, qu’elle mêlait peut-être à quelque peu d’affectation de simplicité dans ses vêtements. Je confesse que, plus ornée, elle m’eût paru encore plus simple.

Nous parlâmes une heure entière des affaires publiques ; on ne pouvait guère parler d’autre chose dans ce temps-là. D’ailleurs, Mme Sand était alors une manière d’homme politique ; ce qu’elle me dit me frappa beaucoup. C’était la première fois que j’entrais en rapport direct et familier avec une personne qui pût et voulût me dire ce qui se passait dans le camp de nos adversaires.

Les partis ne se connaissent jamais les uns les autres ; ils s’approchent, ils se pressent, ils se saisissent : ils ne se voient pas. Mme Sand me peignit très en détail et avec une vivacité singulière l’état des ouvriers de Paris, leur organisation, leur nombre, leurs armes, leurs préparatifs, leurs pensées, leurs passions, leurs déterminations terribles. Je crus le tableau chargé et il ne l’était pas ; ce qui suit le montra bien. Elle parut s’effrayer pour elle-même du triomphe populaire et prendre en grande commisération le sort qui nous attendait.

« Tâchez d’obtenir de vos amis, monsieur, me dit-elle, de ne point pousser le peuple dans la rue en l’inquiétant ou en l’irritant ; de même que je voudrais pouvoir inspirer aux miens la patience, car, si le combat s’engage, croyez que vous y périrez tous. »

Après ces paroles consolantes, nous nous séparâmes et, depuis, je ne l’ai jamais revue…

En citant aussi cette page de M, de Tocqueville, M. Monin remarque que George Sand ne se serait « nulle part exprimée publiquement avec l’effrayante lucidité qui étonna Tocqueville » et qu’il était « évident qu’elle se ménageait et ménageait ses amis et même ses ennemis dans tout ce qu’elle a signé », Or, nous avons vu ce qu’elle disait dans l’article : la Question sociale, dans sa Lettre à Lamennais, et dans le dernier article sur le Socialisme. Nous ne voyons aucune différence entre ses paroles à Tocqueville et ses écrits signés ; l’amie de Gilland et des