Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/175

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captif ! Le peuple est comme vous dans les fers ; le Napoléon d’aujourd’hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple, comme l’autre personnifiait [hier] sa gloire. Acceptez, prince, l’expression de mon sentiment respectueux.

George Sand.


Napoléon répondit à cette lettre par une lettre tout aussi sincère datée du 14 décembre, et une correspondance amicale s’ensuivit entre la recluse de Nohant et le prisonnier de Ham, une correspondance roulant surtout sur les questions de principes et sur celle qui était à l’ordre du jour, avant tout, la politique, comme on peut en juger par les trois lettres suivantes se rapportant à 1845 et parues dans le Figaro de 1897 ; nous les avons vérifiées sur les originaux.

Fort de Ham, 24 janvier 1845.
Madame,

Croyez que le plus beau titre que vous puissiez me donner est le titre d’ami, car il indique une intimité que je serai fier de voir régner entre nous. Si aux yeux du public je tiens à mon titre de prince, c’est que ce titre m’a toujours été disputé par les hommes et les gouvernements qui regardent la révolution française comme un accident et tout ce que le peuple a établi de 89 à 1815 illégitime. Tant que la France aura des princes, je ne déchirerai pas mon extrait de baptême ; mais je passerai avec plaisir l’éponge sur mon passé le jour où elle ne reconnaîtra que des citoyens.

Un mot de votre lettre, madame, me fait craindre que vous ayez mal compris le sentiment qui m’a inspiré en vous écrivant. Vous vous violentez doucement, dites-vous. Si je vous ai écrit avec entraînement, avec chaleur, ce n’était pas par calcul pour vous attirer à moi, mais par enthousiasme. J’ai exprimé sans réserve et sans arrière-pensée ma vive sympathie à la femme illustre par son génie et la noblesse de son cœur. Si je n’avais vu en elle qu’un chef de parti, je lui aurais écrit froidement, avec le style glacé de la politique. Si j’étais assez heureux pour pouvoir vous voir, je vous dirais tout ce que je pense, tout ce que je sens, et si vous n’approuviez pas toutes mes convictions, vous rendriez du moins justice à ma franchise. Je désire la liberté, le pouvoir même, mais je préférerais mourir en prison que de devoir mon élévation à un mensonge. Je ne suis pas républicain, parce que je crois la république impossible aujourd’hui en présence de l’Europe monarchique et de la division des partis. Mais je désire de tout mon cœur