Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’avènement d’un gouvernement quelconque qui s’efforce d’amener en France les institutions démocratiques, qui s’occupe du bien-être du plus grand nombre et qui fasse triompher la liberté, la vertu, la justice, Mais aussi tous les jours je perds un peu de mes espérances, car tous les jours la tête de la France s’aplatit, son ventre s’augmente et son cœur se resserre. Vous me permettrez de vous appeler toujours madame. Ce titre, en français, est tout à fait convenable, car il est tendre et respectueux à la fois. Il est très démocratique, puisqu’on le donne à tout le monde, et il est commun sans être vulgaire. C’est donc celui qu’il me convient le mieux d’employer en vous écrivant. Recevez, madame, la nouvelle assurance de ma respectueuse sympathie.


Fort de Ham, 2 avril 1840.
Madame,

Votre dernière lettre semblait me dire : « Je vous ai donné tout ce que je pouvais vous donner : ne me demandez plus rien, car j’ai mes pauvres. » Cependant je viens encore vous demander la charité, car je sais que vous possédez dans votre cœur des richesses inépuisables, capables de soulager toutes les misères. Que les hommes soient injustes à mou égard, impitoyables malgré ma position, il n’y a rien là qui m’étonne. Les hommes sont nés pour faire la guerre, et généralement la guerre n’est ni juste ni tendre. Mais vous, madame, qui avez les qualités de l’homme sans en avoir les défauts, vous ne pouvez pas être injuste à mon égard, me prêter des vices que je n’ai pas, lire mes écrits avec le sentiment d’un procureur général qui cherche à établir un procès de tendance. En un mot, vous ne pouvez pas me condamner, parce que vous avez vous-même inventé le délit et prononcé la peine. Depuis que vous avez lu mes écrits, vous ne croyez plus, dites-vous, à mon amour pour l’égalité. Je ne puis croire que sérieusement vous ayez pu découvrir dans ce que j’ai dit quelque chose qui soit opposé au principe général d’égalité. Que je n’entende pas sous ce nom la même chose que vous, c’est possible, car il n’y a pas deux personnes qui donnent la même signification à un principe, et ce qui fait même que ces grands mots d’égalité et de liberté réunissent tout le monde sous leur bannière, c’est que chacun les interprète à sa façon ; s’ils n’avaient qu’une signification étroite, ils ne rallieraient personne. Mais, différer dans l’interprétation, ce n’est pas méconnaître la sainteté de ce dogme. Au contraire. Si vous daignez être franche avec moi vous conviendrez que vous avez été enchantée de prendre ce prétexte pour me congédier. Quand vous étiez en province, seule avec vos pensées et vos propres impressions, ma parole vous a touchée ; vous avez jugé avec ce sentiment qui ne trompe jamais, que mes paroles