Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ainsi, je n’ai qu’à faire le rôle d’avocat sincère, et à démentir, autant qu’il m’est possible, les calomnies de nos adversaires.

Adieu, cher ami ; brûlez ma lettre ; je la lirais au président, mais un préfet ne la lui lirait pas, et y trouverait le prétexte à de nouvelles persécutions…


À Monsieur Luigi Calamatta, à Bruxelles.
Paris, le 24 février 1862.
Mon ami,

Ce qu’on t’a dit qu’il m’avait dit est vrai, du moins dans les termes que tu me rapportes ; mais il ne faut pas se flatter. Je n’ai pas le droit, moi, de suspecter la sincérité des intentions de la personne. Il me semble qu’il y aurait une grande déloyauté à invoquer ces sentiments chez elle et à les déclarer perfides, après que je leur dois le salut de quelques-uns[1].

Mais en mettant à part tout ce qu’on peut dire et penser contre ou pour cette personne, il me paraît prouvé maintenant qu’elle est ou sera bientôt réduite à l’impuissance, pour s’être livrée à des conseils perfides, et pour avoir cru qu’on pouvait faire sortir le bon (dans le but) du mal (dans les moyens).

Son procès est perdu aussi bien que le nôtre ; qu’en résultera-t-il ? Des malheurs pour tous ! S’il y avait un maître en France, on pourrait espérer quelque chose ; ce maître-là pouvait être le suffrage universel, quelque dénaturé et dévié qu’il fût de son principe ; quelque aveugle et pressé de travailler à son bonheur matériel que fût le peuple, on pouvait se dire : « Voilà un homme qui résume et représente la résistance populaire à l’idée de liberté ; un homme qui symbolise le besoin d’autorité temporaire que le peuple semble éprouver ; que ces deux volontés soient d’accord et, par le fait, ce sera la dictature du peuple, une dictature sans idéal, mais non pas sans avenir, puisqu’en acquérant le bien-être dont il est privé, le peuple acquerra forcément l’instruction et la réflexion. »

Il m’a semblé, il me semble encore, bien que je n’aie pas revu la personne depuis le 5 février, que les électeurs et l’élu sont assez d’accord sur le fond des choses ; mais tous deux ignorent les moyens, et s’imaginent que le but justifie tout. Ils ne voient pas que le jeu des instruments qu’ils emploient, et la fatalité, se montrent ici plus justes et plus logiques qu’on ne pouvait s’y attendre. Les instruments trahissent, paralysent, corrompent, conspirent et vendent. Voilà ce que je crois, et je m’attends à tout, excepté au triomphe prochain de l’idée

  1. Cf. avec la lettre de Marc Dufraisse à Mme Sand, plus bas.