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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/226

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pas là de grands sacrifices à faire quand il s’agit pour vous d’une action bonne, juste et puissante ?

Prince, prince, écoutez la femme qui a des cheveux blancs et qui vous prie à genoux ; la femme cent fois calomniée, qui est toujours sortie pure, devant Dieu et devant les témoins de sa conduite, de toutes les épreuves de la vie, la femme qui n’abjure aucune de ses croyances et qui ne croit pas se parjurer en croyant en vous. Son opinion laissera peut-être une trace dans l’avenir.

Et vous aussi, vous serez calomnié ! et, que je vous survive ou non, vous aurez une voix, une seule voix peut-être dans le parti socialiste qui laissera sur vous le testament de sa pensée. Eh bien, donnez-moi de quoi me justifier auprès des miens, d’avoir eu espoir et confiance en votre âme. Donnez-moi des faits particuliers, en attendant ces preuves éclatantes que vous m’avez fait pressentir pour l’avenir et que mon cœur, droit et sincère, n’a pas repoussées comme un leurre, comme une banale parole de commisération pour ses larmes.

Prince,

Je vous remercie du fond du cœur des grâces que vous avez daigné accorder à ma requête. Accordez-moi, accordez à vous-même, à votre propre cœur, celle des treize déportés de l’Indre, condamnés par la commission mixte de Châteauroux. Ils ont adressé en vain leur recours à la commission des grâces. Ils m’écrivent que le général Canrobert qui n’a voulu voir à Châteauroux que les autorités, contrairement à ce qui m’avait été dit de sa mission par trois de vos ministres, leur est annoncé comme devant les voir au fort de Bicêtre, où ils ont été transférés. Est-ce le moment d’invoquer la soumission, quand ils viennent, ces malheureux, d’être ferrés comme des forçats sous les yeux du préfet et de traverser ainsi la France, eux, hommes honorables et incapables de la pensée d’une mauvaise action ? Cet affreux système qui assimile la présomption de l’opinion publique aux crimes les plus abjects, ne voulez-vous pas qu’il cesse, et qu’on cesse de croire que vous l’avez autorisé, que vous l’avez connu ?

Prince, faites voir que vous avez le sens délicat de l’honneur français. N’exigez pas que vos ennemis — si toutefois ces vaincus sont vos ennemis — deviennent indignes d’avoir été combattus par vous. Rendez-les à leurs familles sans exiger qu’ils se repentent. De quoi ? D’avoir été républicains ? Voilà tout leur crime. Faites qu’ils vous estiment et vous aiment. C’est un gage bien plus certain pour vous que les serments arrachés par la peur.

Croyez-en le seul esprit socialiste qui vous soit resté personnellement attaché, malgré tous ces coups frappés sur son Église. C’est moi