Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/260

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luttes, les grands périls ; l’échafaud même a pour moi une étrange fascination. Je n’accepterai l’exil jamais, je ne fuirai jamais ; on ne me rattrapera pas, moi, sur le chemin de Varennes. Je ne deviendrai pas folie dans les désastres, je braverai les destinées les plus tragiques, je combattrai face à face le lion populaire ; il ne me fera pas baisser les yeux, et je vous jure que plus d’une fois je saurai le coucher enchaîné à mes pieds. Après cela, qu’il se réveille, qu’il se lasse, qu’il porte ma tête au bout d’une pique ! ce sera le jour de l’éclat suprême, et cette face pâle, plus couronnée encore par le martyre, restera à jamais gravée dans la mémoire des hommes[1] !

Quoiqu’il en soit, une page de roman reste une page de roman, mais George Sand a bien réellement un jour tracé une esquisse de l’impératrice, non plus dans une œuvre d’imagination, mais dans les très intéressants Impressions et souvenirs qui, tous les quinze jours, de juillet 1871 à janvier 1873, ornèrent les colonnes du Temps, d’abord sous des titres différents, et qui sont des documents de la plus haute importance pour l’histoire des idées de Mme Sand dans les dernières années de sa vie. C’est justement dans un chapitre de ces Souvenirs que nous trouvons, imprimées eu 1871, mais écrites en 1860, les lignes suivantes consacrées à l’impératrice. Ce chapitre présente, de plus, un résumé, fait de main de maître, de l’état des esprits et des partis d’alors, du désenchantement général survenu après 1848 et le coup d’État ; et enfin c’est un tableau frappant et coloré de cette transformation radicale ou plutôt de cette dégénérescence de toutes les classes de la société et du peuple qui fut le résultat de l’omnipotence nivelante de l’argent, de l’amour du gain et du luxe ; à ce moment-là il ne restait, au dire de Mme Sand, que deux classes ennemies : « celle qui consomme et celle qui produit, classe riche ou aisée, et classe pauvre ou misérable… » Le petit commerçant d’hier est un richard aujourd’hui ; le capitaliste d’hier — un prolétaire ce matin. Mme Sand y dépeint aussi d’une manière incisive l’influence désagrégeante et dissolvante qu’exerça sur toute la France cette poursuite effrénée du plaisir, ce train d’élégance débauchée et de gaspillage de prodigues que menait la

  1. Malgrétout, p. 213-216.