Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/261

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cour de Napoléon III. Au fond, il n’y a plus de classes, répète-t-elle, le mur chinois qui séparait la cour de la noblesse, la noblesse de la haute bourgeoisie, la grande bourgeoisie de la petite bourgeoisie de province, et du demi-monde et des ouvriers, des paysans, n’existe plus. À commencer par les gens de la cour et jusqu’au dernier prolétaire, tout est mêlé. Les mœurs, les aspirations, les usages, toute la vie sont partout les mêmes. L’argent, voici ce qui nivelle tout le monde. L’argent et le succès ! Toute la question contemporaine se réduit donc à cette lutte entre les deux classes : les capitalistes et les travailleurs. Tout l’avenir de la France dépend de la victoire de l’une d’elles, ou du compromis, de l’entente à l’amiable entre elles, et non de la victoire de tel ou tel parti politique, ni du nom que portera le gouvernement.

République ou monarchie, peu importe. Le mieux serait de trouver un nom nouveau pour relier les deux antinomies qui sont là comme dans tout ; il faudrait voir arriver le moment où le producteur et l’exploiteur voudront tous deux, de bonne foi, et sous la pression d’une nécessité sociale bien démontrée, signer un acte d’association rigoureusement stipulé, après avoir été débattu à fond par les représentants élus de leurs intérêts respectifs[1]

Mme Sand disait un peu plus haut :

J’avais rêvé dans un avenir prochain, mais point trop éloigné, une crise sociale toute pacifique où les deux classes, puisqu’il n’y en a phis que deux, s’éclairant sur leurs droits et leurs devoirs réciproques pourraient faire un pacte d’étroite solidarité. Certes, cette grande chose arrivera, mais l’empire qui eût dû la préparer, l’empereur qui disait le vouloir, ont fait fausse route. Le Paris de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau est devenu la cité de Sardanapale…

…Ce coup d’État, qui, dans les mains d’un homme vraiment logique, eût pu nous imprimer un mouvement de soumission ou de révolte dans le sens du progrès, ne nous a conduits qu’à un affaissement tumultueux à sa surface, pourri en dessous… Et nous ne sommes pas au bout, car chaque jour qui s’écoule signale un nouvel effort vers cette décomposition. Le vertige cherche un point plus élevé pour mieux se précipiter. Les masses ignorantes regardent ces somnambules dont la danse se déroule sur les toits…

  1. Impressions et souvenirs, t. II, p. 35.