Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/262

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Ce qui frappe dans ces lignes, écrites dans le silence d’un cabinet de travail de 1860, ce n’est pas seulement la caractéristique de l’époque et la vision prophétique du tragique et vertigineux saltomortale final du second Empire, mais bien le fait qu’elles peuvent parfaitement être adaptées à la France du commencement du vingtième siècle, et est-ce bien à la France seule ? Tout spectateur attentif des événements des dernières trente années, et surtout de ceux de nos jours, se dira : « Toute la question est dans cette lutte, et il importe peu quel parti se trouve au faite du pouvoir. Quoi qu’on en dise dans les Chambres, pour quelque but ou pour quelque chef que combattent les partis, la lutte, la grande lutte du capitalisme et du labeur s’aiguise de jour en jour, lentement, mais elle avance partout, elle prend feu, et toute la question de notre siècle se réduit à ceci : comment ces deux classes pourront-elles s’entendre à l’amiable ; les puissants céderont-ils de bon gré aux faibles, les faibles se révolteront-ils contre les puissants ? »

Et c’est au milieu de cet article d’une importance toute sociale que nous trouvons le très rapide, mais très piquant croquis de l’impératrice que voici :

…Quoique parvenu, l’empereur fait publier des généalogies qui font remonter jusqu’au Cid d’Andalousie la noblesse de la jeune comtesse de Teba. Il n’a pas suffi à Mlle Montijo d’être belle et charmante, il faut qu’elle ait des ancêtres pour ce monarque qui se vante de n’en point avoir et qui se déjuge comme la bourgeoisie. Et cette jeune impératrice ? Parlons-en, car elle joue déjà une grande partie. Elle arrive avec des chics espagnols bien portés, le goût des émotions fortes, le regret des combats de taureaux, nous ne voulons pas dire celui des autodafé, le dévotion bien en vue, le jeu de l’éventail, la passion du costume, les cheveux poudrés d’or, la taille cambrée, toutes les séductions, même celle de la bonté, car elle est bonne et charitable avec grâce, enfin tout ce qui frappe l’imagination, les sens, le cœur au besoin. Voilà tous les hommes amoureux d’elle, et ceux qui ne peuvent aspirer à la faveur du moindre regard, s’essayant à faire de leurs femmes des impératrices de comptoir. Ces bonnes bourgeoises s’évertuent à copier la belle Eugénie ; elles sablent d’or et de cuivre leurs chevelures vraies ou postiches, elles se fardent, elles deviennent rousses. Elles aussi ont à présent de jolies tailles et des pieds petits.