Aller au contenu

Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rire sa mère jusqu’aux larmes, mais qu’elle y prit un plaisir sérieux.

Le lendemain, Maurice confectionna quelques marionnettes en bois sommairement taillées et habillées de chiffons. Peu à peu il se composa toute une petite troupe d’acteurs, joua d’abord derrière le classique paravent — cette rampe consacrée du Guignol — ensuite construisit un vrai petit théâtre.

Ses petits acteurs n’étaient point de vulgaires et stupides fantoches se ressemblant tous, dont on tire les bras et les jambes avec des ficelles. Les marionnettes de Maurice Sand avaient toutes une physionomie très marquée, justement adaptée au type qu’elles devaient personnifier. Elles ne se mouvaient point à l’aide de fils ni d’aucune mécanique et n’étaient point dirigées d’en haut : Maurice Sand se tenait au-dessous des tréteaux, comme le patron du Guignol forain, et passant son index dans l’intérieur de la tête de la marionnette, son pouce dans l’un de ses bras et le grand doigt dans l’autre, il dirigeait à son gré les mouvements des petites poupées qui semblaient sous ses doigts des êtres animés. Il savait changer sa voix suivant les personnages qu’il faisait mouvoir. Et comme lui et Lambert ne jouaient point seulement l’éternelle histoire de Pierrot, mais tantôt quelque drame romantique, tantôt une folle bouffonnerie italienne, la troupe était fort nombreuse. Aussi lorsque l’un des acteurs achevait sa tirade et qu’un autre, et quelquefois plusieurs autres personnages, entraient en scène, Maurice accrochait prestement sa petite poupée à un piton se trouvant au fond de la scène, de sorte qu’il pouvait entrer en scène autant de personnages à la fois qu’il était nécessaire à l’action. Si le fantoche ne s’accrochait pas d’emblée à son piton, il faisait manquer l’entrée, la sortie, ou la réplique d’un autre personnage. Manquer son piton ou avoir le piton devint synonyme d’une entrée ratée, ou d’une réplique oubliée et cela pour les acteurs du grand théâtre de Nohant aussi bien que pour les marionnettes. Les acteurs de l’Odéon qui y séjournèrent plus tard empruntèrent cette locution, et durant plusieurs années on disait derrière le rideau du second théâtre Français à chaque accroc survenu : il