Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Nous lisons dans une lettre inédite du 4 janvier 1858, adressée à Maurice qui, séjournant alors à Paris, y avait transplanté son théâtre de marionnettes et s’y amusait à arranger des spectacles de société dans les salons (comme on le voit par les deux lettres précitées et par la lettre du 16 janvier 1858 à Charles Duvernet)[1] :

Je suis contente de te savoir arrivé sans trop de froid, ni d’ennui, mon cher garçon. Dieu merci, car le froid est rude depuis ton départ et aujourd’hui il pince rude… Nous nous portons bien, comme tu nous as laissés, les poules, Manceau et moi. Trianon[2] est tout ratissé et cristallisé. J’ai lu le livre sur la Suède que Choïecki m’a envoyé. Dis-lui que je l’ai reçu, que je l’en remercie et paye-lui une petite dette qu’Émile te remettra, s’il n’a déjà payé. Je vois que la Presse ne reparaît pas et que l’amnistie ne viendra pas[3]. Je me suis remise aujourd’hui à écrire Christian Waldo

Donc partie avec Manceau le 10 janvier pour Gargilesse, par un grand froid, George Sand décrit ainsi son voyage à Maurice :

Nous sommes partis par un brouillard noir et un verglas superbe, Manceau jurant que le soleil allait se montrer, mais plus nous allions, plus le brouillard s’épaississait ; si bien que nous sommes arrivés à la descente du Pin, voyant tout juste à nous conduire. Mais tout d’un coup la Creuse glacée et non glacée par endroits, cascadant, et cabriolant au milieu, tandis que ses bords blancs étaient soudés aux rives, s’est montrée devant tout isolée du paysage, si bien que, si nous n’avions pas su ce que c’était, nous aurions cru voir un mur tout droit de je ne sais quel marbre gris et blanc avec un mouvement fantastique. Et puis, un peu plus loin, sur le brouillard gris-noir de la rivière on voyait des bouffées de brouillard blanc, comme si le ciel, un ciel d’orage, était descendu sous l’horizon. C’était superbe en somme : ça donnait l’idée de l’Écosse, vu qu’au milieu de tout cela apparaissaient des vallées, des petits coins de verdure et des maisons avec

  1. Correspondance, t. IV, p. 135.
  2. C’est ainsi que Mme Sand appelait un minuscule jardinet qu’elle piochait et ratissait elle-même dans le parc de Nohant ; elle lavait arrangé pour la petite Nini Clésinger, mais à cette place même sa mère, Mme Sophie Dupin, avait jadis arrangé un petit jardin fantastique avec grotte et cascade pour la future George Sand, alors une enfant de huit ou neuf ans. (V. l’Histoire de ma vie, t. II, p. 275-279.)
  3. V. plus loin chap. xi, p. 369.