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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/341

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est-ce possible ? vous m’avez menti ! Oh ! que vous êtes coupable ! Vous avez brisé mon cœur. Vous m’avez fait une blessure qui saignera toute la vie. Vous avez aigri mon caractère et faussé mon jugement.

Vous m’avez mis dans l’âme une sécheresse, une amertume que je retrouve dans tout.

Croyez-vous que j’ai oublié tout cela quand maintenant vous me caressez ? Oh ! vos caresses me font du mal. Quand vous m’embrassez, mon cœur se gonfle et, si j’osais pleurer devant vous, je pleurerais ! Et quand je vois une autre fille dans les bras de sa mère, heureuse, adorée, protégée, je me tords les mains et je pense à vous qui m’avez abandonnée. Ma mère, Dieu vous pardonne ! Il vous pardonnera. Dieu est parfait. Mais vous m’avez fait bien du mal.

Je voudrais me venger, je voudrais pouvoir vous faire du bien. Vous verriez que je ne suis pas une mauvaise fille ! Ah ! je n’étais pas née pour cela !!!

Voilà ma lettre ; l’enverrai-je ?

Pauvre mère ! que de chagrin elle vous ferait ! Vous êtes légère, mais vous n’êtes pas méchante. Non, vous ne l’êtes point. Vous n’êtes que bizarre. Ah ! je ne vous ferai jamais de reproches. Je pleurerai en silence. Vous vieillirez tranquille.

Je me sens très mal à présent. À quoi ai-je été songer ! Si j’allais consulter le médecin ? Encore quelque âne ! Je n’irai point, qu’ai-je à faire de lui ?

Mais, mon Dieu, à qui écrirai-je donc ? Je sais bien à qui je n’écrirai pas[1].

À Adolphe[2] ? C’est un ami despote. Je n’aime pas la tyrannie. À Stéphane[3] ? C’est un fou, un vrai pédant. Je déteste la science. À Gustave[4] ? C’est une bête. Les bêtes m’ennuient. À mon père[5] ? L’excellent cœur ! Mais que lui dirai-je ? Lui raconter ce que j’ai vu à Clermont ? l’éternelle relation obligée ! Mais je n’ai rien vu ! J’ai été partout. J’ai attrapé un coup de soleil au Puy-de-Dôme. Je me suis éreintée à cheval, époumonée à pied. Et tout cela pourquoi ? Si, je le sais !… Il n’y a pas là de quoi faire une lettre. Mon Dieu, qu’on est bête quand on a de l’humeur.

Je vas écrire à Zoé[6], Elle est si bonne ! C’est un ange. Oui, mais elle montrerait ma lettre et je ne veux pas qu’on se souvienne de

  1. Allusion évidente à Aurélien de Sèze.
  2. Adolphe Dutheil.
  3. Stéphane Ajasson de Grandsagne (V. notre vol. Ier, p. 196-98,286-361, et vol. III de l’Histoire de ma vie, p. 327, 330, 334.)
  4. Gustave Papet.
  5. James Duplessis (V. notre vol. Ier, p. 216-220, et vol. III, p. 67).
  6. Zoé Leroy (V. vol. Ier, p. 264).