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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/382

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Enfin le 2 avril elle inséra une dernière lettre à ces messieurs, ainsi rédigée :

Messieurs,

Je dois accepter vos explications, bien qu’elles ne me satisfassent pas complètement. Quant à M. Ary Scheffer, qui n’a pas dans les malheurs ou les travaux de sa vie politique les mêmes excuses à une trop vive susceptibilité, je pardonne à l’artiste, ainsi que je l’ai promis, et je le mets hors de cause.

Quant à vous, messieurs, je persiste à trouver votre alarme mal fondée, et votre empressement à la laisser traduire eu paroles publiques très irréfléchi. Je n’ai pas besoin que l’on m’enseigne ce que je dois de respect et d’affection aux martyrs de l’Italie ; je le sais.

En disant que l’Italie ne saurait être purifiée[1], j’ai fait parler un personnage de roman qui doute de la femme qu’il aime et qui, dans une heure de spleen, l’identifie avec le milieu qu’elle habite, avec la terre à laquelle elle appartient. Quelques chapitres plus loin, il retrouve, dans la pureté de cette femme, l’espoir et la foi qui lui manquaient. C’est ce qui m’a fait dire qu’un roman ne devait pas être lu comme un recueil de sentences. Les hommes politiques ne sont pas forcés de savoir ce que c’est qu’un roman, et comment le fait y répond, parfois mieux que les paroles, aux axiomes placés dans la bouche des personnages. Mais aussi les hommes politiques ne sont pas forcés de lire ces sortes d’ouvrages et de les juger. Ce n’est pas leur état.

En disant qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite[2], j’ai très

  1. Cette expression se rapporte aux lignes de Daniella ; « Mais quoi, pensais-je, en m’arrachant au charme qui me dominait, ce vaste ciel et ces sales décombres, ces fleurs luxuriantes et ces égouts infects, ces yeux enivrants et ces cœurs souillés, n’est-ce pas là toute l’Italie, vierge prostituée à tous les bandits de l’univers, immortelle beauté que rien ne peut détruire, mais qu’aussi rien ne saurait purifier ? ». » (Daniella, t. Ier, p. 217).
  2. On lit à la page 87 du t. Il de Daniella :
    « …Je remarquai, au bout d’un instant, que le prince et le docteur n’étaient nullement d’accord sur les moyens de sauver l’Italie. Plus logique et plus courageux d’esprit que son ami, le docteur voulait renverser les vieux pouvoirs. Le prince, aussi hardi de caractère que timide de principes, ne s’en prenait qu’aux abus, et rêvait un retour à l’Italie de Léon X et des Médicis, sans vouloir avouer que ces abus avaient pris d’autant plus d’essor et de licence que Rome et Florence avaient eu plus d’éclat, d’artistes, de luxe et d’aristocratie. Quant à son gouvernement napolitain, il en parlait avec horreur et mépris, mais sans pouvoir admettre l’idée de remplacer l’autorité absolue par une constitution démocratique. Il avait vu la populace de son pays se faire l’exécuteur des hautes œuvres de la tyrannie, et il ne pouvait sacrifier la répugnance trop fondée du fait à l’enthousiasme du principe. J’en concluais, en moi-même, que là où des natures bienveillantes et sincères