Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/411

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part consista à émailler de mots le rôle du duc d’Aléria. Mais lorsque nous avons mot à mot comparé la pièce au roman, nous nous sommes, à notre grand étonnement, convaincus que le duc ne s’y montrait ni plus gai, ni plus spirituel. Au contraire, beaucoup de traits fins, de mots et de petites reparties manquent dans la version théâtrale. Ainsi, nous préférons le premier dialogue de Caroline et du duc, tel qu’il se trouve dans le roman, à celui de la comédie. Le commencement de cette scène : la conversation de Caroline avec un inconnu, qui se trouve au dernier moment être le duc ; les quiproquos et les situations comiques qui en proviennent ; la soudaine prière, si touchante, de cet inconnu qui demande à Caroline de lui tendre la main ; la crainte visible de cet homme mondain de ne pas être trouvé digne d’un simple shake-hands, et ses dernières paroles, prononcées d’une voix tremblante : « Ayez soin de ma mère, » tout cela est changé et gâté dans la pièce. Dans le roman ce n’est qu’à ce moment que Caroline s’écrie : « Ah ! Je sais à présent qui vous êtes. Vous êtes le duc d’Aléria. » Dans la comédie, elle sait tout de suite à qui elle parle ; c’est pour cela que ni la prière du duc, ni la réponse de Caroline, ni les paroles finales ne produisent sur le spectateur cette impression inattendue, troublante et touchante. Le dialogue est privé de cet arôme d’inconnu, de mystérieux, de mélancolique, qu’on devine malgré l’apparente gaieté du duc. On y sent une noble âme souffrant de ses propres péchés et ne portant que le masque de l’insouciance. Dans la pièce, ce trait est à peine perceptible ; ce n’est que le jeu d’un bon acteur qui peut y remédier.

Le rôle de Mme d’Arglade n’a pas moins souffert. Dans le roman c’est une bourgeoise vaniteuse qui se faufile, grâce à son babil, à sa feinte naïveté et à son habileté à se plier aux goûts de n’importe qui, dans le monde restreint du Faubourg. Et c’est un type comique et déplaisant, plein de caractère, fait de main de maître. Il est réduit dans la comédie à une banale intrigante de convention.

Nous savons que la scène entre les deux frères produit au théâtre une impression profonde. Nous trouvons cependant que