Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/418

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(Dumas) savait bien que dans la vie littéraire digne et croyante, le public n’est pour nous qu’un très petit nombre d’âmes choisies auxquelles nous sommes heureux de plaire. Le reste profite s’il peut et s’il veut de ce que nous tâchons de dire de bon et de vrai, mais nous ne le connaissons pas et si nous le consultions, il nous égarerait comme il égare tous ceux qui lui font des concessions intéressées. Mais le petit nombre qui pense comme nous et qui dirait comme nous s’il voulait dire, celui-là nous soutient et nous donne une force intérieure dont nous devons le remercier. Aussi, monsieur, je vous remercie de cœur, ainsi que cette chère malade[1], dont Alexandre m’a parlé. Mais ce n’est pas moi qui vous ai rendu bon, c’est tout au plus si je vous ai fait sentir que vous l’étiez. Pour cette bonté je chéris votre suffrage et j’y penserai désormais pour me rendre meilleure moi-même. Vous voyez que l’échange sera égal et complet et que si je vous ai fait du bien, vous me le rendez pleinement…

Le fait est que Rodrigues disait d’elle à Dumas fils et écrivait à George Sand elle-même qu’il se considérait comme son débiteur parce qu’elle avait exercé une influence salutaire sur toute sa vie : grâce à elle il devint meilleur.

Voilà une récompense qui échoit rarement aux poètes, voilà le but vers lequel tendent tous ceux qui voudraient « exhausser les âmes par le son de leur lyre », voilà le prix des efforts constants et incessants de George Sand à peindre dans ses romans des natures bonnes, élevées, idéales.

…Je connais quelques natures aussi bonnes que celle que j’invente, — écrivait George Sand un peu plus tard à M. Rodrigues, — et c’est là ce qui soutient ma foi. On ne rêve pas ce qui n’est pas, et à ceux qui me reprochent d’être optimiste, je réponds qu’ils sont bien malheureux de n’avoir pas rencontré des cœurs d’or dans leur triste vie. Dans la jeunesse j’étais sceptique aussi : c’était frayeur de l’inconnu et manque d’expérience ou expérience mal faite. Quand on a vécu, il n’est pas permis de juger ainsi et c’est à recouvrer le sens de la justice que la vieillesse est bonne.

Vous voyez bien que j’ai raison de croire puisque vous voilà devant moi, cher monsieur, et si, en vous écrivant, je me rappelais qu’il existe des égoïstes. Dieu me crierait : « À quoi songes-tu ? C’est bien le moment !…

  1. Mme B…, fille de M. Édouard Rodrigues.