Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/42

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nation entière. Les nations sont généreuses et pardonnent à ceux qui reviennent de leurs erreurs.

Quant au devoir d’un gouvernement provisoire, il consiste à choisir des hommes sûrs pour lancer l’élection dans une voie républicaine et sincère. Que l’amitié fasse donc silence, et n’influence pas imprudemment l’opinion en faveur d’un homme qui est assez fort pour se relever lui-même, si son cœur est pur et sa volonté droite.

Je ne saurais trop te recommander de ne pas hésiter à balayer tout ce qui a l’esprit bourgeois. Plus tard, la nation, maîtresse de sa marche, usera d’indulgence, si elle le juge à propos, et elle fera bien si elle prouve sa force par la douceur. Mais, aujourd’hui, si elle songe à ses amis, plus qu’à son devoir, elle est perdue, et les hommes employés par elle à son début auront commis un parricide.

Tu vois, mon ami, que je ne saurais transiger avec la logique. Fais comme moi. Si Michel et bien d’autres déserteurs que je connais avaient besoin de ma vie, je la leur donnerais volontiers, mais ma conscience, point. Michel a abandonné la démocratie, en haine de la démagogie. Or il n’y a plus de démagogie. Le peuple a prouvé qu’il était plus beau, plus grand, plus pur que tous les riches et les savants de ce monde. Le calomnier la veille pour le flatter le lendemain m’inspire peu de confiance, et j’estimerais encore mieux Michel s’il protestait aujourd’hui contre la République. Je dirais qu’il s’est trompé, qu’il se trompe, mais qu’il est de bonne foi.

Peut-être croit-il, désormais, travailler pour une République aristocratique où le droit des pauvres sera refoulé et méconnu. S’il agit ainsi, il brisera l’alliance qui s’est cimentée d’une manière sublime, sur les barricades, entre le riche et le pauvre. Il perdra la République et la livrera aux intrigants ; et le peuple, qui sent sa force, ne les supportera plus. Le peuple tombera dans des excès condamnables si on le trahit ; la société sera livrée à une épouvantable anarchie, et ces riches qui auront détruit le pacte sacré deviendront pauvres à leur tour dans des convulsions sociales où tout succombera.

Ils seront punis par où ils auront péché ; mais il sera trop tard pour se repentir. Michel ne connaît pas et n’a jamais connu le peuple ; que ne le voit-il aujourd’hui ! Il jugerait sa force et respecterait sa vertu.

Courage, volonté, persévérance à toute épreuve…

Nous avons transcrit cette lettre presque en entier, quoiqu’elle soit imprimée. Elle est trop significative. Elle renferme en germe les éléments des cinq premiers articles politiques de George Sand de cette année, et nous dévoile les causes qui la firent