Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

armant de résolution, vous provoquez contre lui des haines aveugles, vous allez lui donner une importance, un ensemble, une lumière qu’il ne se flatte pas encore de posséder ? Vous êtes toujours les hommes d’hier, vous croyez toujours que c’est par la lutte hostile et amère que vous pouvez sauver votre opinion. Vous êtes dans une erreur inconcevable. Vous ne voyez donc pas que l’égalité à laquelle vous avez droit comme le peuple ne s’établira que par la liberté ?

J’invoquerais aussi la fraternité, si je pouvais croire qu’il existât parmi vous un cœur assez desséché pour que ce mot ne portât pas lui-même toute sa définition, la santé de l’âme.

J’augure mieux de vos sentiments, mais je crains pour vos idées, je ne les trouve ni logiques ni rassurantes. Si vous ne les transformez pas, elles amèneront l’anarchie ; non pas une anarchie sanglante : si elle éclatait sur quelques points, le peuple, tout le premier, ce peuple généreux et ami de l’ordre, que vous ne connaissez pas encore, vous sauverait des fureurs du peuple ; mais une anarchie morale qui paralysera les travaux de la nouvelle Constitution et, par conséquent, la vie morale et matérielle de la France.

Vous avez vu cette vertu, cette grandeur du peuple ; et, comme il vous est impossible de les nier, vous motivez votre répugnance à proclamer son droit, sur la crainte qu’il ne soit communiste. Hélas ! non, le peuple n’est pas communiste, et cependant la France est appelée à l’être avant un siècle. Le communisme dans le peuple, c’est l’infiniment petite minorité ; or vous savez que, si les majorités ont la vérité du présent, les minorités ont celles de l’avenir. C’est pourquoi il faut témoigner aux minorités de l’estime, du respect et leur donner de la liberté. Si on leur en refuse, elles deviennent hostiles, elles peuvent devenir dangereuses, on est réduit à les contenir par la force, elles subissent le martyre ou exercent des vengeances. Le martyre tue moralement ceux qui l’infligent, comme la vengeance tue physiquement ceux qui la subissent. Laissez donc vivre en paix le communisme… Mais il existe quelque part, dit-on, des communistes immédiats qui veulent, par le fer et le feu, détruire la propriété et la famille. Où sont-ils ? Je n’en ai jamais vu un seul, moi qui suis communiste[1].

  1. C’est nous qui soulignons. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre d’Henri Martin écrite pour accuser réception de cette brochure de George Sand, comme un peu ultérieurement il l’avait déjà fait pour la Lettre à la classe moyenne. Henri Martin écrit donc, à la date du 18 mars :
    « Je reçois à l’instant votre second envoi : je vous avoue qu’il y a des choses qui m’inquiètent quant à l’effet politique, des choses qui demanderaient un grand développement pour être comprises et qui surtout, dans un écrit si concis et si rapide, me semblent bien hasardeuses. Le temps me manque pour en causer avec vous ; mais pourquoi prendre ainsi le mot