Aller au contenu

Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

même à toute heure en remontant dans le libre domaine de l’air. Mon évaporation est comme une sueur de vie qui se répand sur tout ce qu’elle touche et qui se reforme en nuage pour courir encore sur la cime des grands chênes. Je ne puis dire où je vais et où je ne vais pas, soit que je retourne au ciel, soit que perdu dans les embrassements de la belle rivière, j’aille me dilater dans les bassins des grandes mers ; mais Dieu les connaît, mes beaux voyages, et toute la nature en profite ; et moi, je m’en réjouis sans cesse, et toujours je ris, je cours, je chante, je raconte, je confie, je révèle, je bois et donne à boire, je sème et je récolte, je prends et je donne ; tout me nourrit, même ton haleine, et je nourris tout, même ta pensée. Petit courant, je suis une des manifestations particulières du grand fluide vital ; petite vapeur je suis aussi vivant et aussi nécessaire que le grand fleuve et le grand océan, et que le grand troupeau des nuées qui accompagne et revêt la terre dans son voyage à travers l’infini.

Et le ruisseau dont j’avais traduit le langage, me fit connaître que je ne l’avais pas fait mentir, car j’entendis qu’il disait distinctement, comme un résumé de mes hypothèses : Toujours, toujours partout, dans tout, pour tout, toujours ! Et il recommençait sans se lasser, car c’est tout ce qu’il pouvait dire et il ne pouvait rien dire de plus beau…

On entend encore le murmure et le clapotis d’une eau qui court « sans se lasser jamais » dans la Nouvelle lettre d’un voyageur, dédiée à Manceau et écrite également « au mois d’avril et à Gargilesse » mais un an plus tard, en 1864. Seulement cette fois-ci George Sand parle de la Creuse, dans laquelle se jette la Gargilesse.

La Creuse, notre grand torrent, ne se calme pas du tout. Il gronde aujourd’hui, comme il y a vingt ans et nous ne souhaitons pas du tout qu’il s’apaise. Nous ne saurions courir aussi vite que lui ; mais nous aimons passionnément à le regarder passer.

Et à ce torrent fougueux « que ne saurait suivre l’humble voyageur » qui, par une belle journée d’avril, dans un pays doux et caché, se laisse paisiblement aller à la joie de vivre, en admirant et le réveil de la nature et le gai chant d’un geai, et un beau livre, et les instincts raisonnables de ses deux petits chevaux, c’est à ce torrent bouillonnant, disons-nous, que George Sand compare Victor Hugo, dont le livre Sur Shakespeare, lu en route pour Gargilesse, l’a ravie. Oui, ce grand poète est aussi un élé-