rassemblée spontanément sur la simple invitation du nouveau maire, M. Maurice Sand. Dès le matin, tous ces braves gens étaient arrivés du fond de leurs terres, montés sur leurs petits chevaux, enveloppés de leurs manteaux bleus, le bout du fusil passant sur le flanc du cheval. On eût dit d’une petite Vendée. Ces hommes ont le sang-froid et la bravoure des partisans. Mais aujourd’hui il n’y a plus de partis contraires à la grande unité nationale ; une même pensée rassemble tous les habitants du sol ; et si l’accoutrement pittoresque de nos gens de campagne rappelle les apprêts mystérieux de la guerre civile, leur physionomie enjouée, l’esprit de fraternité qui s’éveille à leur approche, les cris de : Vive la République ! qui les saluent sur leur passage, et le concours de toutes les sympathies à un triomphe dont la France entière veut être solidaire, annoncent qu’à la poésie des temps passés ils savent joindre la vive notion du présent et de l’avenir. Soixante-dix paysans, armés de fusils de chasse, se trouvèrent ainsi réunis à deux cents non armés, qui demandaient avec enthousiasme des armes à la République[1]. Les femmes et les enfants portant des bannières, les vieillards, les voisins des campagnes environnantes formèrent bientôt un nombreux cortège, qui assista religieusement à l’office et à la bénédiction des drapeaux. La garde nationale armée s’était exercée seulement une heure avant la messe, et pourtant elle y rendit les honneurs militaires avec l’ensemble et la bonne tenue de soldats éprouvés. Elle était commandée fraternellement par des officiers improvisés, jeunes gens récemment sortis du service et revêtus de leurs uniformes des différents corps. Un soldat de marine revenu de la Martinique, un artilleur revenu d’Alger, un lancier qui avait parcouru la France, un fantassin qui avait tenu garnison à Paris, de jeunes et de vieux militaires, tels sont les éléments qui se retrouvent dans les campagnes sous les nouvelles bannières de la garde civique, et qui aiment à confier leurs drapeaux à de vieux héros de l’Empire ou de la République. Le porte-drapeau de Nohant-Vic était un grenadier de la vieille garde, tout couvert de blessures, revêtu de la grande tenue de l’Empire, et fier de pouvoir raconter à ses jeunes et vaillants camarades les jours de Leipzig et la glorieuse campagne de 1814.
Un objet d’art tiré du cabinet d’un amateur obligeant[2], jouait son rôle dans la rustique solennité. C’était une petite couleuvrine du seizième siècle, toute fleurdelisée, et qui n’en célébrait pas moins d’une
- ↑ Comme on le verra tout à l’heure par sa lettre inédite du 25 mars, George Sand prit sur elle de faire des démarches pour faire distribuer des armes aux campagnards de Nohant-Vic.
- ↑ M. Monin dit que cet amateur fut le grand-père paternel de M. Alfred Aulard, grand ami de George Sand et de sa famille et plus tard maire de Nohant. Nous parlons de lui dans le chapitre ix.