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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/521

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s’est tue, reviendra-t-elle ? Et si elle retient, l’entendrai-je ? Est-ce bientôt, est-ce demain, est-ce dans un siècle ou dans une heure qu’elle reviendra ?…

… Au fort de la bataille tous sont braves ; c’est si beau le courage ! Ayez-en, vous dit-on, tous en ont, il faut en avoir. Et on répond : « J’en ai ! » Oui, on en a quand on vient d’être frappé et qu’il faut sourire pour laisser croire que la blessure n’est pas trop profonde. Mais après ? Quand le devoir est accompli, quand on a pressé les mains amies, quand on a dissipé les tendres inquiétudes, quand on reprend sa route sur le sol ébranlé, quand on s’est remis au travail, au métier, au devoir ; quand tout est dit enfin sur notre infortune et qu’il n’est plus délicat d’accepter la pitié des bons cœurs, est-ce donc fini ? Non, c’est le vrai chagrin qui commence, en même temps que la lutte se clôt. On avance, on écoute, on voit vivre, on essaie de vivre aussi ; mais quelle nuit dans la solitude ! Est-ce la fatigue qui persiste ou s’est-il fait une diminution de vie en nous, une déperdition de forces ? J’ai peine à croire qu’en perdant ceux qu’on aime on conserve son âme entière. À moins que…

Cet « à moins que » en dit tant ! C’est comme le célèbre vers coupé de Pouchkine : « Mais si… » terminant sa merveilleuse Épître à une Inconnue, d’une douleur si passionnée et d’une jalousie concentrée et ardente. George Sand interrompt par ces mots le cours de ses confessions toutes personnelles ; elle termine cette Lettre d’un voyageur, comme nous l’avons vu, par des aperçus généraux et objectifs sur la jeunesse et l’état des âmes contemporaines, puis elle adresse à Victor Hugo — dont la mission est en opposition directe avec le chauvinisme et le cléricalisme du moment — la supplique de réveiller les idées généreuses et les sentiments enthousiastes par ses belles chansons lumineuses.

Mme Sand reçut, après la mort de Manceau, les plus grandes marques de sympathie et un soutien tout fraternel de la part de Flaubert. C’est précisément à 1865-66 que se rapporte l’éclosion de cette illustre amitié. Flaubert avait, dès 1847, tenté de faire la connaissance de George Sand par l’intermédiaire de Théophile Thoré, la priant d’écrire une préface à un de ses livres. Thoré le recommandait à Mme Sand comme étant un « neveu de Saint-Just ». La réponse de George Sand à Thoré a