Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/527

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guille ; ils n’en existaient pas moins. Les idées et les passions qui remirent un peuple en émoi, une société en dissolution et en reconstruction, ne sont pas propres à un homme ; elles sont résumées par quelques hommes plus tranchés que les autres. Tu m’as donné l’idée de faire de Cadiou le héros de la pièce, c’est une idée excellente. Laisse-moi l’envisager comme elle me vient et en tirer parti. Il sera l’image et le reflet du passé et de l’avenir, il traversera le présent sans le comprendre, comme un homme ivre. Ce sera très original et très beau. Je me fiche bien de ce que l’auteur aura à expliquer de sa pensée au public. Il faut que l’auteur disparaisse derrière son personnage et que le public fasse la conclusion. Tout le difficile est de la lui rendre facile à faire. Il faut essayer et ne jamais reculer devant ce qui vous a ému et saisi.

Aide-moi pour le cadre, les événements nécessaires à mon sujet. Un coin de la Vendée et de la chouannerie ensuite, un tout petit coin ; il faut que le drame soit grand et la scène petite. Pioche, sois fort sur les dates, les événements ; je prendrai où j’aurai besoin de prendre, et tu m’aideras pour arranger le scénario. Mais laisse-moi rêver et créer Cadiou. Pour ça, il faut que j’aille voir un petit coin de la Bretagne ; réponds vite, si tu veux y aller. Sinon, je pars, et je vais ensuite à Nohant du 10 au 15. Voilà !

Je vous aime et vous bige.

Ce petit voyage eut effectivement lieu : George Sand alla en cet automne de 1866 « courir avec ses enfants » en Bretagne, y visitant les coins les plus pittoresques et les plus sauvages de ce pays si curieux, observant les us et coutumes, les mœurs, les costumes et les visages de ses habitants.

Le 21 septembre, Mme Sand écrit à Flaubert : « Je viens de courir douze jours avec mes enfants… Nous avons eu un beau soleil en Bretagne. »

Après cette petite excursion Mme Sand se mit à écrire son drame de verve, mais elle dt bientôt qu’il y avait plus de « développements que ne le comportait une pièce de théâtre », trop d’analyses psychologiques et autres, et ayant terminé Cadio sous la forme d’un « roman dialogué », avec la liste des personnages et la division en actes, comme dans un vrai drame, elle le publia moins d’une année après dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre au 15 novembre 1867. Un an plus tard M. Paul Meurice l’adapta à la scène, et Cadio fut joué à la Porte-Saint-Martin en 1868.