Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/647

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chœur qui portait la croix et du prêtre revêtu d’une étole violette très usée, s’avança vers le caveau. Les assistants se placèrent où ils purent, mais les places les plus proches échurent à des gens complètement étrangers.

Après quelques courtes prières le prêtre, sou enfant de chœur et son chantre se retirèrent. Un vieillard[1] que j’appris être M. Périgois, avocat et conseiller général de l’Indre, républicain très avancé, de cette voix dolente qui est le trait distinctif de l’élocution française et qui, à nous autres Anglais et Américains, semble si étrange et si factice[2], lut un discours, retraçant en termes dignes et parfois touchants, la vie de l’illustre défunte. Paul Meurice à son tour lut lentement et d’une façon solennelle la tirade que Victor Hugo avait envoyée. Ce style boursouflé, ces phrases toutes faites qui ne signifient absolument rien, produisirent un médiocre effet. Flaubert, lui, trouvait cette prosopopée sublime et il m’avoua l’avoir déjà lue trois fois en y découvrant de nouvelles beautés[3]. Le prince, avec un grand bon sens, et Renan qui s’y connaît, n’hésitèrent pas à déclarer que ce style amphigourique n’était qu’une affaire de cliché, de procédé, à la portée de tous et de chacun[4]. Le prince avait d’abord songé à parler, et Dumas avait passé une partie de la nuit dans la chambre de Favre[5] à préparer un discours[6]. Ils pensèrent qu’entre le clergé et Victor Hugo il n’y avait pas de place pour eux et ils se turent.

Ce cimetière inculte, cette foule de paysannes recouvertes de leurs capelines de drap foncé, agenouillées dans l’herbe humide, le ciel gris, la pluie fine et froide qui nous fouettait le visage, le vent bruissant à travers le cyprès et se mêlant aux litanies du vieux chantre, me touchèrent bien autrement que toute cette éloquence de convention. Et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser que la nature, en ce moment solennel, devait bien à George Sand un dernier rayon de soleil.

J’allai faire mes adieux à Maurice et à Lina. Me pressant les mains elle me dit : « Bien, qu’elle ne soit plus, vous nous restez, vous, n’est-ce

  1. M. Pestel et Mme Maurice avaient été choqués du fait que M. Harrisse avait nommé « vieillard » un homme de cinquante et un ans et avaient ajouté une note à ces lignes. Nous croyons devoir laisser les expressions du texte primitif de M. Harrisse telles que. Nous les préférons franchement.
  2. Tout ce passage est atténué et changé dans le texte imprimé.
  3. La phrase la plus connue de ce discours est : « Je pleure une morte et je salue une immortelle. » — W. K.
  4. Ce passage est également changé.
  5. Dumas avait été installé pour la nuit non dans la chambre de M. Favre, mais dans celle de Mme Maurice, qui alla loger dans la chambre de ses enfants. (Note du docteur Pestel.)
  6. Qu’il ne prononça pas, mais que publièrent en 1879 le Figaro (11 juin), et le Temps (12 juin), puis l’Ordre républicain, journal d’Indre-et-Loire.