Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/653

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

George Sand ; assise toute seule, au milieu du premier rang, elle attire tous les regards par sa coiffe berrichonne. À peine suis-je à ma place que le rideau se lève.

La scène représente la cour d’une grande ferme, appartenant à une riche paysanne, la Grand’Rose, et gérée par le père Fauveau, son métayer. Le père Fauveau est en train de régler ses comptes avec les journaliers. Il est rusé, finaud et un peu avare, le père Fauveau, il sait compter son argent ; il l’aime, mais il est surtout vaniteux, il espère marier un jour son fils Sylvain avec l’alerte et coquette « patronne », d’autant plus facilement que cette jolie veuve voit d’un fort bon œil ce beau garçon si brave travailleur. C’est en vain que la mère Fauveau conseille à son mari de ne pas se laisser emporter par ses rêves vaniteux et lui démontre que Sylvain a bien autre chose en tête. Le père Fauveau est têtu. Non seulement il ne change pas d’avis, mais à la première occasion venue, il insinue à la Grand’ Rose que son gas (c’est gas en berrichon) est épris d’elle et qu’il serait bien aisé de conclure cette affaire.

C’est juste à ce moment que Sylvain revient des champs. Deux moissonneurs le suivent, c’est un ancien soldat octogénaire, le père Rémy, et sa petite-fille Claudie.

Je n’ai jamais eu l’occasion de voir auparavant Mlle Leconte, qui jouait Claudie, et je confesse mon absolue ignorance, je ne sais pas parmi les astres de quelle grandeur elle est classée par les critiques en titre. Je puis néanmoins assurer que son entrée en scène, sa pose et l’expression de sa figure au moment où, tenant par la main son vieux grand-père, elle se montre au seuil de la porte, resteront toujours gravés dans ma mémoire, comme certaines poses ou certaines entrées des plus grands artistes. Jamais je n’oublierai ce regard suppliant et douloureux, cette douce figure humble, ces mouvements timides et toute cette petite personne si pauvrement vêtue, si effacée, comme ternie par le chagrin et la misère. Mais pendant la durée de toute la pièce aussi, par la simplicité, l’absence de tout artifice, la touchante sincérité de son jeu, Mlle Leconte attira toute mon attention, toute ma sympathie et je lui fis une place à part au milieu