Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/655

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misère et de privations. Denis Ronciat est aussi poltron qu’il est effronté ; il veut au plus vite se tirer d’affaire : si Rose allait apprendre quelque chose. Il craint quelque scandale. Il est donc tout interdit et très ravi lorsque Claudie lui déclare qu’elle ne veut rien de lui, qu’elle a « tout oublié » ! Ronciat s’imagine qu’elle a tout aussi légèrement pris leur amourette que lui. Il en est enchanté. Ce n’est pas lui qui peut comprendre quel martyre de désespoir a traversé la pauvre délaissée, comment elle a passé de l’amour à la haine, puis au mépris, puis, après la mort de son enfant, à une morne indifférence ; elle n’a rien oublié, mais en enterrant son petit, la consolation et le déshonneur de sa pauvre vie, elle a, aussi, enterré son amour pour l’homme indigne. Mais comment ce grand bêta de Ronciat, suffisant et brutal, aveuglé par son argent et ses faciles victoires, pourrait-il comprendre tout cela ? Il voit les choses plus simplement. On ne lui demande rien. L’affaire est donc bâclée ! On entend des cris, des chants et le son des cornemuses : c’est la Gerbaude qu’on amène des champs.

Lors de la première de Claudie à la Porte-Saint-Martin, en 1851, un énorme chariot berrichon, attelé de bœufs et chargé de gerbes, exécuté d’après un dessin de Maurice Sand, arrivait réellement sur la scène et triomphalement on enlevait une gerbe ornée de fleurs selon le vieil usage. Cette fois-ci on se borna à apporter sur la scène une énorme gerbe enrubannée et fleurie, on la plaça au milieu de la scène, et la fête de la Gerbaude commença.

Selon l’antique usage on donne cette gerbe au plus vieux ou au plus jeune des moissonneurs, ou bien, s’il n’est pas de force à l’emporter chez lui, on la lui rachète : chacun doit lui faire un petit présent selon ses moyens. Les uns lui donnent de l’argent, les autres quelque objet utile ; le possesseur de la gerbe doit chanter une chanson ou prononcer un discours en l’honneur de la Gerhaude et des travailleurs. Personne n’a le droit de l’interrompre, ce soir-là, tous les honneurs lui reviennent. Il est évident que Rémy est le plus âgé de tous ; il est unanimement élu orateur et « lieutenant » de la fête.

Rémy entonne alors ce lugubre quatrain en vieux français, si semblable au berrichon, que George Sand avait jadis trouvé