Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/662

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travailler ; je n’ai pas eu ce contentement-là depuis la Gerbaude… Je sens maintenant que je deviendrai centenaire… » Tous s’agenouillent. Et le rideau tombe sur une impression qui rappelle celle du délicieux tableau de Millet : un Angélus pieusement récité par de simples enfants de la terre, après une journée de labeur.

Toute la pièce laisse l’impression d’un hymne au travail, au rude travail de la terre, d’un hymne du bon laboureur et au bon blé qui nous nourrit tous, riches et pauvres. Sans ce blé, sans ce travail du laboureur, il n’y aurait rien eu, ni personne de nous, même dans cette belle salle où nous voilà. Gloire donc au blé ! A la gerbe ! à la gerbaude ! comme disait le père Rémy… « Oh ! gerbe de blé, si tu pouvais parler, si tu pouvais dire combien il t’a fallu de gouttes de notre sueur pour t’arroser, pour te lier l’an passé, pour séparer ton grain de la paille avec le fléau, pour te préserver tout l’hiver, pour te remettre en terre au printemps, pour te faire un lit au tranchant de l’arrau, pour te recouvrir, te fumer, te herser, te désherber et enfin pour te moissonner et te lier encore et pour te rapporter ici, où de nouvelles peines vont recommencer pour ceux qui travaillent… Oh ! gerbe de blé ! tu fais blanchir et tomber les cheveux, tu courbes les rems, tu uses les genoux ! Le pauvre monde travaille quatre-vingts ans pour obtenir à titre de récompense une gerbe qui lui servira peut-être d’oreiller pour mourir et rendre à Dieu sa pauvre âme fatiguée… »

Et ce sentiment, dominant toute la pièce, — la glorification du travail qui n’est point une punition, mais un bienfait pour nous, — se communique si fort aux spectateurs que ce jour-là, après la répétition générale, et le lendemain, après la soirée du spectacle, tous, nous sortions du théâtre avec une sensation de fraîcheur, de courage pour travailler. Et nous y avons vécu des moments de gai entrain, lors des scènes de Rose et de Ronciat, des moments d’émotion profonde, par exemple pendant le premier dialogue entre Claudie et Sylvain, ou l’explication entre le père et la mère Fauveau au dernier acte, et enfin des moments dramatiques vraiment bouleversants, comme lors du grand monologue de Rémy. Et les sceptiques, parmi nous, avaient complè-