Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/677

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incomparables. Bien sût que ç’avaient été de fières danseuses au temps de leur jeunesse, c’est à elles qu’échurent les deux premiers prix. Le troisième fut octroyé à une ravissante jeune paysanne. Elle n’était pas précisément jolie, mais vraiment adorable avec sa coiffe blanche, abritant sa pure et candide figure d’une expression sévère, pensive et innocente. Plusieurs d’entre nous lui trouvaient une ressemblance avec une madone pré-raphaëlite. Je trouvai que c’était Jeanne personnifiée, et pendant que je l’examinais, ce type créé par l’imagination de George Sand, une bergère sauvageonne, plongée dans des rêveries mi-conscientes, prit soudain à mes yeux le caractère de vérité et de réalité. Et les Berrichons cultivés, tel M. Hugues Lapaire, m’assurèrent qu’on trouve encore beaucoup de jeunes filles de ce type et de ce genre en Berry, dans des coins sauvages. Ma « Jeanne » avait à peine seize ans, elle était grande, un peu fluette, sa taille semblait encore ne pas être faite ; lorsqu’elle dansait, elle baissait ses grands yeux songeurs, et lorsque venait la bigeade, elle devenait confuse, non pas par bienséance, mais très réellement, et se détournait avec mécontentement, ne laissant embrasser qu’un bout de sa joue hâlée.

On dansa longtemps, malgré la chaleur tropicale de la salle. Des valses succédèrent aux bourrées, puis de nouveau des bourrées aux valses, enfin commença le « concours des chanteurs ». D’abord ils se firent longtemps prier, surtout les femmes, personne ne voulait commencer. Puis, tout le monde chanta, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’à MM. Augras et Lapaire qui dirent chacun une vieille chanson. Finalement il fallut même modérer le zèle de ceux qui voulaient « concourir » avec les autres.

Toutes ces chansons, quoique quelques-unes d’entre elles datent de plusieurs siècles, ne sont pas précisément ce que nous appelons des chansons populaires. Ce sont des chansons devenues populaires ou plutôt recueillies et gardées par le peuple, alors que les classes supérieures les oublient. Et les paroles, et la mélodie portent l’empreinte très caractérisée de l’époque des trois derniers Louis. Les mélodies sont tristes et sentimentales,