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CONTES ET NOUVELLES.

sans qu’elles se crussent écoutées, aurait tous les jours, le journal d’Étretat.

L’histoire que raconte Pierre se passe à une époque déjà assez éloignée de nous ; Étretat n’avait pas alors une auberge où l’on bût du vin de Champagne : c’était sous l’Empire.

Dans ce temps-là, dit Pierre, on prenait tout le monde pour la guerre ; on consommait des hommes, que ça faisait pitié. Quand on avait pris des hommes et qu’ils étaient dépensés et tués, au lieu de nous en rendre on nous en reprenait d’autres, c’était nous qui en devions. Passe encore quand on prenait les pêcheurs pour la marine, c’était leur état, ils quittaient leur famille, leurs amis, leur fiancée ; mais au moins ils ne quittaient pas la mer. Mais l’empereur consommait bien plus d’hommes sur terre que sur mer, et c’était là ce qui chagrinait le plus les garçons.

Une nuit que la marée basse se trouvait vers deux heures du matin, les femmes lavaient à la fontaine, chacune ayant sa lanterne près d’elle, de sorte que, du haut des falaises, il semblait voir de grosses lampodes, ces vers luisants, épars sur le galet.