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CONTES ET NOUVELLES.

gris, une montre qui me vient de mon père, et un peu d’argent que m’a donné mon oncle en m’embrassant. Tiens, Félix, en me quittant, il m’a donné une foule d’avis dont je n’ai pas entendu un mot ; car j’ai pris depuis longtemps l’habitude, quand je le vois prêt à gronder ou à conseiller, de choisir à l’avance un sujet de méditation susceptible de me distraire du plus ou moins de solennité de son exorde ; mais, en me parlant de mon père, il a pleuré, puis il m’a dit :

— Vois-tu, Eugène, dans la vie, il ne faut compter que sur soi-même.

Vrai, je l’ai trouvé tout à fait bonhomme, et je n’ai pu reconnaître en lui le tyran qui a tourmenté ma jeunesse. Peut-être n’y a-t-il jamais eu entre nous qu’un quiproquo : il est vieux, je suis jeune, chacun de nous prend à tort nos oppositions naturelles de sensations et d’idées pour une hostilité permanente. Rien ne rend tolérant comme le bonheur : j’étais si content de le quitter, qu’il me semblait que j’aurais pu rester avec lui.

Je suis arrivé vers quatre heures à Montreux ; c’est un village qui, en venant de Lausanne, est