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BOURET ET GAUSSIN.

Cette anecdote nous en remet en la mémoire une autre quelque peu plus ancienne, et qui ne manque pas d’intérêt.

Vers l’an 1730, arriva à Paris, de je ne sais quelle province, un jeune homme dont tout l’avoir consistait en un habit à peu près convenable, vingt ans, vingt écus et une lettre de recommandation. Au bout de huit jours, il avait perdu sa lettre de recommandation, dépensé ses vingt écus, l’habit s’usait au coude, il ne lui restait plus pour présent et pour avenir que ses vingt ans ; ce qui ne rapporte guère qu’un grand appétit et des désirs d’autant plus grands qu’on ne peut les satisfaire. Il y avait loin de là aux rêves dorés qui l’avaient amené à Paris.

Le pauvre garçon, à entendre parler du luxe, des parures, des fracas de la ville, avait imaginé qu’il suffisait d’être dans les murs de Paris pour avoir un hôtel, des laquais et des chevaux ; il fut fort étonné le premier jour qu’il fut obligé de se coucher sans souper, lui qui s’attendait, comme on dit, à voir les alouettes toutes rôties et les perdrix tout accommodées aux choux, trop heureuses qu’on daignât les manger.