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POUR NE PAS ÊTRE TREIZE.

La fuite seule était possible avec Milbert. Mais il est parti, parti pour longtemps, parti heureux ! Pauvre fille ! seule, sans appui, sans conseils, sans secours ! Son père la tuerait, sa mère ne saurait en faire un mystère à son mari. La conclusion de toutes ces pensées fut celle-ci :

— Je suis perdue !

Puis elle se disait :

— Mais c’est impossible, c’est un rêve affreux ; tant d’événements depuis un jour, cela n’arrive pas ainsi dans la vie réelle. Je vais me réveiller… Mais non, c’est vrai, tout est vrai ; je suis perdue et déshonorée, seule, abandonnée de Milbert. Ô mon Dieu, comment se fait-il que ce qui m’aurait donné tant de bonheur, dans un an peut-être, soit aujourd’hui un sujet de désespoir et un arrêt de mort ?

Elle se jeta à genoux et pria. Puis elle se releva :

— Pourquoi prier ? qu’ai-je à demander à Dieu ? Maintenant, tout est fini, je suis perdue ! Il faut mourir… il faut mourir ! Pauvre Eugène, quand il saura cela !… Sa femme et son enfant !… Nous aurions été si heureux !