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CONTES ET NOUVELLES.

Elle passa le reste de la nuit à songer à la mort ; elle se représentait tour à tour le moment où l’on retrouverait son corps, — elle avait résolu de se jeter dans le lac, — le désespoir de sa mère, celui de Milbert ; elle priait Dieu de lui permettre de voir ses regrets et de les adoucir.

— Si notre âme, pensait-elle, peut revenir sur la terre, je resterai près de lui.

Puis elle regardait son corps, et se disait :

— Morte !… je serai morte… froide, insensible !

Puis elle pleurait et pensait à parler à sa mère, puis elle se rappelait les paroles d’Élisabeth et se disait :

— Il faut mourir !… il faut mourir.

Le matin, elle s’endormit, épuisée de fatigue.

Quand elle se réveilla, elle espéra un moment encore que tout ce qu’elle avait éprouvé la veille était un songe ; mais elle remit ses idées en ordre, et l’affreuse réalité lui apparut tout entière ; elle se rappela toute sa vie, surtout depuis la première fois qu’elle avait vu Milbert ; ses yeux tombèrent sur cette table sur laquelle ils avaient dîné tous les deux.