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auteur le chancelier de Marillac, et fut publiée en 1621. Cette traduction, qui se rapproche plus qu’aucune autre du texte original, a, dans son vieux langage, beaucoup de grâce et de naïveté : il est remarquable qu’elle n’a été que rarement imitée par les traducteurs qui sont venus après.

En 1662, parut celle de M. le Maistre de Saci : elle eut un grand succès. Toutefois ce n’est le plus souvent qu’une paraphrase élégante du texte. Le P. Lallemant, qui publia la sienne en 1740[1], et M. Beauzée, dont la traduction fut imprimée en 1788, évitèrent ce défaut, mais laissèrent encore beaucoup à désirer. Beauzée, correct, quelquefois même élégant, manque de chaleur et d’onction ; le P. Lallemant, avec plus de précision que Saci et moins de sécheresse que Beauzée, est loin cependant d’avoir fidèlement rendu le tour animé et plein de sentiment, l’expression souvent si hardie et si pittoresque de l’original. Du reste, l’un et l’autre s’emparèrent sans scrupule de tout ce qu’ils jugèrent bien traduit par leurs devanciers.

La traduction de Saci a été depuis revue et corrigée par l’abbé de la Hogue, qui l’a fort améliorée, sans avoir cependant rien changé au système de paraphrase adopté par ce traducteur.

Il nous reste à parler de la traduction qui, depuis un siècle, a été le plus souvent réimprimée, et qui, sous le nom du P. Gonnelieu, auteur des pratiques et des prières dont elle est constamment accompagnée, passe pour la plus parfaite de toutes. Habent sua fata libelli, ce singulier jugement que répète, à peu près dans les mêmes termes, chaque nouvel éditeur de cette traduction, l’a rendue en quelque sorte l’objet d’un respect religieux, qu’il semble bien hardi de vouloir essayer de détruire. La vérité est cependant que le P. Gonnelieu n’a jamais traduit l’Imitation ; que cette traduction, depuis si longtemps honorée d’une si grande faveur, est d’un libraire de Paris, nommé Jean Cusson, qui la fit paraître pour la première fois en 1673 ; et que, bien qu’elle ait été retouchée et corrigée par J.-B. Cusson, son fils, qui la publia de nouveau en 1712[2], y joignant alors, pour la première fois, les pratiques du P. Gonnelieu, elle n’est, en effet, qu’une continuelle et faible copie de celle de Saci, et, à

  1. Il avait alors quatre-vingts ans.
  2. Ces documents bibliographiques ont été puisés dans une dissertation très savante et très bien faite sur soixante traductions françaises de l’Imitation, publiée en 1812 par M. A.-A. Barbier, bibliothécaire du roi.