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Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/29

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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

barrière de glace encastrée entre les deux bancs de sable commençait à céder et dans quelques minutes, la masse glacée, entraînant ces valeureux avec elle, descendrait en tourbillonnant, le fleuve gonflé.

Les hommes, toutefois, ne pensèrent pas à se sauver. Bien que le glacier allait glisser sous leurs pieds et que la mort leur était trop évidente, ils continuèrent leur travail inflexiblement jusqu’à ce que la prison du moine fut complètement ouverte.

On vit alors par quelle merveilleuse Providence Cyril et Sylvestre avaient échappé à la mort. Deux grands blocs gelés de plusieurs mètres de long, élevés au-dessus des autres par la poussée des glaçons de derrière, avaient formé une sorte d’arche sur le couple emprisonné, les protégeant tout à fait des masses tombant autour d’eux.

— « Il n’y a pas de temps à perdre, père », dit Vladimir en faisant sortir de force le moine, pendant que Féodor (l’inséparable ami du Tartare) aidait Cyril à sortir de son trou. « Si nous ne sautons pas tout de suite sur la berge, les poissons, entre cet endroit et Kief, pourraient bien goûter de notre personne ».

Certes, il était temps. Comme ils avançaient pour atteindre la rive, la glace craqua et se partagea sous eux dans toutes les directions, et l’eau se mit à bouillonner formidablement. Le moine était couché et les chasseurs qui le transportaient, voyaient à peine, dans cette obscurité profonde, où poser leurs pieds, or un faux pas amènerait sûrement une mort inévitable.

Ah ! si les Russes pensaient seulement à sauter sur les glaçons intermédiaires, comme le font les loups de leurs forêts ! Mais Sylvestre, non habitué à ces rudes exercices et exténué par les difficultés multiples de la nuit, pouvait à peine se tenir debout, et la nécessité de l’aider retardait la troupe.

Un glacier se divisa en maints petits glaçons et les hommes qui s’y trouvaient furent engloutis par le fleuve glacé. Un autre se brisa, puis un troisième… La masse entière allait céder et dévaler le fleuve. La rive maintenant était près d’eux et l’atteindre c’était le salut ; mais y arriveraient-ils jamais ?

— « Saute à terre, Kirsha », (Cyril), dit le Prince, d’un ton qui n’admettait point de répliques.

L’ordre était désagréable pour le brave Tartare mais il avait depuis longtemps appris à obéir sans rechigner. Il sauta sur la berge, et les hommes formant une chaine, se passèrent Sylvestre jusqu’à ce qu’il fut sain et sauf à côté de Cyril. La troupe le suivit et le dernier à sauter sur le sol était Vladimir qui restait toujours le dernier au péril, com-