Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
PRIS DANS LES GLACES

C’était un spectacle étrange de voir cette poignée d’hommes, rampant comme des fourmis sur la surface brisée et tremblante de cette petite colline de glace, et avançant pas à pas où plusieurs personnes auraient cru impossible de s’aventurer en aussi grand nombre. Ces simples héros ne s’imaginaient guère qu’ils accomplissaient quelque chose de grand ; ils riaient et plaisantaient comme des enfants à chaque glissade, à chaque faux pas que l’un d’eux subissait ; ils saluaient de railleries les masses qui les frôlaient en emportant la mort, et ils répondaient à l’avalanche des blocs tombant, par des chants de chasse et des cris de joie juvéniles.

Enfin, le Prince meurtri et saignant, mais plus intrépide encore, atteignit le bas du rempart de glace sous lequel Sylvestre et Cyril avaient disparu, et il cria d’une voix surpassant les bruits qui l’environnaient :

— « Père Sylvestre, êtes-vous là ? »

Ils retinrent leur respiration pour mieux écouter, car malgré l’influence magique que leur superstition attribuait au moine grec, ils avaient peu d’espoir de le voir échapper à la mort, le salut semblait impossible. Mais la voix claire et musicale qu’ils connaissaient si bien monta, calme et résolue comme toujours, de l’abîme froid et blanc de cette tombe.

— « Je suis ici, mon fils, et que Dieu soit loué, nous ne sommes pas blessés. »

Les acclamations qui accueillirent ces mots, roulèrent le long du désert gelé, formidables et joyeuses, et toute la bande sauta à l’endroit d’où venait la voix, aussi avidement que s’il y allait de leur vie.

— « Hurrah ! » cria Vladimir ; « je savais bien qu’il ne pourrait être tué ! À l’ouvrage, mes amis ; nous l’aurons hors de ce maudit endroit ! »

Mais comme ils allaient attaquer le rempart, la voix de Sylvestre se fit entendre de nouveau :

— « Prenez garde, mes enfants, de faire tomber le glaçon qui pend au-dessus de nos têtes ! Allez du côté où vous entendez ma voix, vous aurez plus de facilité. »

ils se mirent tous au travail sans perdre une minute. Sous les rudes coups des épées et des bâtons ferrés, la glace, lentement mais sûrement, s’écroula et Vladimir, poussant un cri de triomphe, put enfin entrevoir les figures familières de ses deux compagnons.

Mais à ce moment les sauveteurs perçurent sous leurs pieds un faible tremblement ; leur cœur sembla s’arrêter de battre, car ils connaissaient trop bien la signification de ce mouvement invisible. La