lement parce qu’elle décrit la défaite de leurs mortels ennemis, les Tartares, par un Russe, mais aussi parce que celui-ci a conquis la victoire par un de ces stratagèmes qui étaient aussi populaires chez les Russes de ce siècle, qu’ils le sont chez ceux du nôtre.
« Tugârin le Tartare
S’avança au combat ;
Le rusé Pôpovitch
Lui dit alors :
« Oh ! Tartare, tu veux me tromper !
Ce combat est inégal !
Hier encore
Tu jurais hardiment
De me combattre sincèrement,
Nous deux, et pas davantage ;
Et voilà que derrière toi
Se trouve une vingtaine de camarades ! »
Tugârin se retourna pour voir
Si c’était vrai ;
Alors Popôvitch sauta sur lui
Et lui trancha la tête ! »[1]
Au moment où la chanson finissait parmi les applaudissements et les rires de tous les hôtes (car les Russes comme les Turcs, jouissent d’histoire à la vingtième fois comme à la première) un grand bruit se fit entendre au dehors du hall, et plusieurs voix crièrent ensemble :
— « Conduisez-les au grand Prince ! Qu’il entende ce qu’ils ont à dire ! »
La porte s’ouvrit et une demi-douzaine de gardes conduisirent devant Vladimir deux hommes poudreux, fatigués, aux yeux hagards, qui avaient évidemment marché vite et longtemps.
À leur vue on sentait qu’ils n’apportaient guère de bonnes nouvelles ; les causeries et les rires bruyants firent place à un silence si complet qu’on aurait pu entendre voler une mouche dans ce hall bondé et, lorsque les étranges inconnus eurent mangé à la hâte la nourriture posée devant eux, ils commencèrent leur histoire.
Ce fut bientôt dit. Les Tartares étaient de nouveau en campagne et avaient envahi le sud-est de la Russie qu’ils ravageaient pour l’instant. Beaucoup d’habitants s’étaient réfugiés dans la forteresse de Kamenskoë ; mais l’ennemi l’avait encerclé et l’attaquait, jurant de tout massacrer lorsque la place serait prise.
— « Ils vont à leur perte ». dit Vladimir dans un rire sauvage, « et c’est toujours un mauvais plan de vendre la peau de l’ours avant de
- ↑ Cette chanson est la traduction littérale de la ballade authentique que j’ai trouvée
dans la Russie Centrale.