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LA MAIN DE FER DE SYLVESTRE

encore et la ville et tout ce qu’elle contenait appartiendrait aux Khan ; pourquoi, alors, donner au hasard d’un combat douteux le prix qu’il tenait déjà dans sa main ?

Ces arguments prévalurent et les Tartares rapportèrent à Sviatagor le refus d’Octaï, et ils y ajoutèrent une allusion railleuse sur la chute imminente de la ville.

Mais ces sauvages devinaient bien peu, comme ils descendaient la colline en riant sur leur triomphe anticipé, combien leurs ennemis méprisés les avaient surpassés en finesse. Ces pourparlers avaient duré trois heures, et durant ce répit, les ouvriers Russes, qui savaient que le sort de la ville était entre leurs mains, avaient accompli des prodiges, et l’engin était presque terminé. Lorsque les parlementaires de Khan revinrent de leur seconde mission, la machine mystérieuse était prête et lentement roulée à sa place sur une plate-forme érigée juste à côté de la porte occidentale.

C’était une étrange chose, pareille au rouleau moderne d’agriculture, beaucoup plus grand naturellement, dont le manche était terminé par une énorme main. Si les Russes avaient connu l’histoire classique, ils auraient reconnu d’un coup d’œil la « baliste », ou fronde énorme, des anciens Romains, plus grande et mieux construite. Mais aux simples Russes, elle leur semblait un appareil magique et ils l’observaient, étonnés, ne sachant comment elle agirait.

La baliste, un instant après, fut tout à fait prête. À peine fut-elle à sa place que le grand appentis tartare s’avança lentement, vers la ville, cependant qu’un rugissement de triomphe vint frapper les oreilles des Russes.

Sylvestre fit un signe et deux hommes placèrent dans la main de fer, une pierre énorme, et le moine, retroussant les manches de son froc, mania le levier qui bandait cette main.

Tout de suite, à l’étonnement des spectateurs, la main rebondit et la pierre, s’élevant comme une fusée, traça une énorme courbe sous le ciel et retomba (manquant de près l’appentis ennemi) dans la masse serrée des sauvages hurlant.

Un cri terrible renseigna sur les ravages produits par la pierre, et les Tartares consternés, comprenant difficilement ce qui leur arrivait, restèrent muets et immobiles comme des statues. Une autre pierre apparut sifflant dans l’air et un fracas épouvantable répété par les échos de la colline, indiqua que le fameux appentis, le labeur de plusieurs journées pénibles, n’était plus qu’un amas de bois brisés sous lesquels avaient péri une vingtaine des plus braves guerriers de Khan.