Page:Kindt - Pour se damner.djvu/32

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Au milieu de son existence enfiévrée, elle n’avait jamais aimé ; sortir de sa morne indifférence était le plus cher de ses désirs, la terre promise plus belle que le paradis, plus enviable que la fortune et la gloire ; elle eût donné sa vie même, pour sentir palpiter, une fois, son cœur qui n’avait jamais battu que d’orgueil ou de dépit.

Était-ce donc son grand désir d’aimer qui lui ramenait les rêves semblables ? Mais pourquoi toujours le même homme revenait-il, dans ces transports factices, une douloureuse obsession ?

Alors elle retournait au journal, lui parlait, un sourire étrange sur les lèvres ; mais il ne voyait rien, lui répondait de sa façon lasse et traînante ; elle sortait apaisée et guérie, haussant les épaules.

Mais la nuit ramenait les mêmes fièvres, les cauchemars adorables de ce délire sans nom ; l’homme qui lui était indifférent tout le jour prenait possession de son corps et de son âme quand arrivaient les heures sombres ; et éveillée, le menton dans la main, elle songeait à ces possédées du