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L'AME DES SAISONS


Ainsi, sans fin, pendant des lunes et des lunes,
Dans un vaste assoupissement que n’importune
Nul geste humain, le rêve étrange se poursuit,
Qui bourdonne le jour et halète la nuit...

Pourtant un jour, au lent tournant de la rivière,
On voit une pirogue et, debout à l’arrière,
Dominant les rameurs nègres au dos ployé,
Un blanc, en pantalon de calicot rayé
De rouge... Un caïman curieusement pointe
Vers le canot sa gueule aux mâchoires mi-jointes.
Or, le coude au canon du fusil, le héros,
Tanné et boucané sous son grand sombrero,
Tandis que la mousson, au parfum de goyave,
Distille dans son sang, comme une sourde lave,
Le suc voluptueux des violentes fleurs,
Et que le double rang des hommes de couleur
A coups de rames bien parallèles pagaie,
Songe à la fille de Monsieur La Bourdonnaye,
Belle comme le jour et prisonnière chez
Les sanguinaires et redoutables Natchez,
Qui ont le front cerclé de plumes scarlatines,
Et des anneaux de cuivre accrochés aux narines...