Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/119

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— Elle ne nous touchera pas, dit Éphraïm avec confiance. Avant l’hiver nous aurons notre synagogue. Mon frère et sa femme avec leurs enfants vont venir ici de Calcutta, et alors je serai le prêtre de la synagogue.

Dans les soirs étouffants le vieux Jackraël Israël se traînait au dehors pour aller s’asseoir sur les monceaux de décombres et regarder emporter les cadavres au fleuve. Et Jackraël Israël disait d’une voix expirante :

— Elle ne s’approchera pas de nous, car nous sommes le peuple de Dieu, et mon neveu sera le prêtre de la synagogue. Tant pis pour eux s’ils meurent.

Il retournait à sa maison et barricadait la porte pour se forclore du monde des Gentils.

Mais quand les bières passaient, Myrriam, femme d’Éphraïm, regardait par la fenêtre les morts et disait qu’elle avait peur. Éphraïm la réconfortait avec l’espoir de la synagogue à venir, et en attendant recevait les traites selon sa coutume.

En une nuit les deux enfants moururent et furent enterrés par Éphraïm le matin de bonne heure. Leurs décès ne furent jamais portés sur les relevés de la cité.

« Ce chagrin est mon chagrin », disait Éphraïm ; ce qui lui semblait une raison suffisante de ne tenir aucun compte des règlements sanitaires d’un vaste empire florissant et des mieux administrés.

Le jeune orphelin, qui vivait de la charité d’Éphraïm et de sa femme, ignorait sans doute la re-