Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/120

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connaissance, et ce devait être un scélérat. Il prit tout l’argent que ses protecteurs consentirent à lui donner, et avec cela s’enfuit au plus vite à l’autre bout du pays. Une semaine après la mort de ses enfants Myrriam se releva la nuit et alla rôder par la campagne, dans l’espoir, qui sait ? de les retrouver. Elle les entendait pleurer derrière chaque buisson, ou se noyer dans chaque mare des champs, et arrivée sur la Grande Artère Centrale elle supplia les charretiers de ne pas lui voler ses petits. Au matin le soleil se leva et lui tapa sur sa tête nue, et elle se réfugia dans l’humidité fraîche des moissons, pour s’y coucher et n’en jamais revenir. Ce fut en vain qu’Hayem Benjamin et Éphraïm la cherchèrent pendant deux nuits.

L’air d’étonnement résigné se fit plus profond sur le visage d’Éphraïm, mais il trouva bientôt une explication à son malheur. Il disait :

— Nous sommes si peu ici, et ces gens-là sont si nombreux, qu’il est possible que notre Dieu nous ait oubliés.

Dans la maison sur les confins de la cité, le vieux Jackraël Israël grommelait avec Esther qu’il n’y avait plus personne pour s’occuper d’eux, et que Myrriam avait été infidèle à sa race. Éphraïm continuait d’aller recevoir les traites, et le soir venu fumait avec Hayem Benjamin, jusqu’au jour où, à l’aurore, Hayem Benjamin mourut, mais non sans avoir d’abord payé toutes ses dettes à Éphraïm. Jackraël Israël et Esther restaient seuls tout le jour dans la maison vide, et au retour d’Éphraïm pleu-