Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/159

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ennui à craindre, sans quoi nous ne l’aurions pas amené ici. Vous devez comprendre que la Reine… Dieu la bénisse !… n’ira jamais supposer qu’un simple soldat détient dans la caserne des éléphants, des palanquins et autres semblables. Après que nous l’eûmes traîné de chez Dearsley ici à travers cette cruelle brousse qui faillit abattre le courage d’Ortheris, nous le déposâmes pour la nuit dans le ravin ; et un brigand de porc-épic et une civette et un chacal se nichèrent dedans, comme bien nous nous en aperçûmes au matin. Dites-moi, monsieur, est-ce qu’un élégant palanquin, digne d’une princesse, est fait pour devenir le gîte de toute la vermine de la garnison ? Nous l’avons apporté chez vous, le soir venu, et mis dans votre écurie. N’ayez pas de remords de conscience. Pensez plutôt à ces hommes qui se réjouissent dans le hangar de paye là-bas… en regardant le Dearsley sa tête enveloppée d’une serviette… et se disant bien qu’ils peuvent recevoir leur paye chaque mois sans retenues pour la loterie. Indirectement, monsieur, vous avez délivré d’un détrousseur sans scrupule toute la population d’un village de paysans. Et d’ailleurs, est-ce que je vais laisser cette chaise à porteurs nous pourrir sur les bras ? Certes non. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre sur le marché un pur joyau comme celui-ci. Il n’y a pas un roi dans les soixante-dix kilomètres à la ronde (il désigna de la main le tour de l’horizon poudreux), pas un roi qui ne serait heureux de l’acheter. Moi-même un jour que j’en aurai le loisir, je l’emmènerai par la route pour m’en défaire.