Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/160

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— Comment cela ? demandai-je.

— Je m’en irai dedans, comme de juste, et je tiendrai l’œil aux aguets entre les rideaux. Quand je verrai un homme appartenant à la croyance indigène, je descendrai en rougissant de mon baldaquin, et lui dirai : « Acheter un palanquin toi, espèce de gourde de négro ? » Mais il me faudra d’abord louer quatre hommes pour me porter ; et ça c’est impossible jusqu’à la prochaine paye.

Chose curieuse, tandis que Learoyd, qui avait combattu pour obtenir la récompense, et à qui sa victoire avait procuré le plus grand plaisir de sa vie, était tout disposé à la sous-estimer, Ortheris disait carrément qu’il vaudrait mieux se séparer de l’objet. Dearsley, raisonnait-il, en dépit de ses magnifiques qualités de lutteur, pourrait bien être un homme à double face, capable de mettre en mouvement l’appareil de la justice civile, chose fort redoutée du militaire. En tout cas la plaisanterie était terminée ; la prochaine paye était proche, où il y aurait de la bière à discrétion. Pourquoi donc garder plus longtemps ce palanquin peinturluré ?

— Tu es un fusilier de première classe et un solide petit gars pour ta taille, lui dit Mulvaney. Mais ta cervelle n’a jamais valu mieux qu’un œuf mollet. C’est moi qui ai à rester éveillé des nuits à réfléchir et faire des plans pour vous trois. Ortheris, mon fils, ce n’est pas seulement quelques décalitres de bière qu’il y a dans cette chaise à porteurs… ni même des hectolitres… mais des tonneaux et des muids et des wagons-foudres.