Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mais qu’est-ce que vous en pensez ? reprit-il, tandis que je me massais le membre endolori.

Ma réponse fut noyée dans les hurlements et les clameurs qui s’élevèrent du foyer voisin, où dix hommes s’égosillaient à appeler : « Ortheris ! Soldat Ortheris ! Maître Ortheris ! Le gars ! Capitaine Ortheris ! Maréchal Ortheris ! Stanley, rigolo de deux sous, viens donc avec ceux de ta compagnie ! » Et le cockney qui venait de faire la joie d’un autre auditoire avec ses récits subreptices et rabelaisiens, fut projeté par la force majeure au milieu de ses admirateurs.

Vous avez horriblement froissé mon devant de chemise, dit-il, et je ne chanterai plus jamais pour ce fichu salon-ci.

Réveillé par le tumulte, Learoyd s’étira, se glissa par derrière Ortheris et l’éleva en l’air sur ses épaules.

— Chante, toi, satané oiseau piailleur, dit-il.

Et Ortheris, battant la mesure sur le crâne de Learoyd, exécuta d’une voix rauque, digne de Ratcliffe Highway, les chastes et touchants couplets que voici :

Ma bonne amie elle m’a donné mon congé
Quand j’étais un gars de Londres,
Et pendant quinze jours je n’ai pas cessé de boire,
Et après ça j’ai tourné mal.
La Reine elle me donne un shilling
Pour combattre à perpète outre-mer ;
Mais les casernes du gouvernement sont des nids à fièvre
Et l’Inde m’a donné le mal.